« Pour apprécier les partis politiques selon le critère de la vérité, de la justice, du bien public, il convient de commencer par en discerner les caractères essentiels.
On peut en énumérer trois :
– Un parti politique est une machine à fabriquer de la passion collective.
– Un parti politique est une organisation construite de manière à exercer une pression collective sur la pensée de chacun des êtres humains qui en sont membres.
– La première fin, et, dernière analyse, l’unique fin de tout parti politique est sa propre croissance, et cela sans aucune limite.
Par ce triple caractère, tout parti est totalitaire en germe et en aspiration. S’il ne l’est pas en fait, c’est seulement parce que ceux qui l’entourent ne le sont pas moins que lui. »
« On en est arrivé à ne presque plus penser, dans aucun domaine, qu’en prenant position « pour » ou « contre » une opinion.
Ensuite on cherche des arguments, selon le cas, soit pour, soit contre.
C’est exactement la transposition de l’adhésion à un parti.
Presque partout – et même souvent pour des problèmes purement techniques – l’opération de prendre parti, de prendre position pour ou contre, s’est substituée à l’obligation de la pensée.
C’est là une lèpre qui a pris origine dans les milieux politiques, et s’est étendue, à travers tout le pays, presque à la totalité de la pensée.
Il est douteux qu’on puisse remédier à cette lèpre, qui nous tue, sans commencer par la suppression des partis politiques. »
« Supposons un membre d’un parti – député, candidat à la députation, ou simplement militant – qui prenne en public l’engagement que voici :
« Toutes les fois que j’examinerai
n’importe quel problème politique ou social, je m’engage à oublier absolument le fait que je suis membre de tel groupe, et à me préoccuper exclusivement de discerner le bien public et la justice. »
Ce langage serait très mal accueilli. Les siens et même beaucoup d’autres l’accuseraient de trahison.
Les moins hostiles diraient :
« Pourquoi alors a-t-il adhéré à un parti ? » – avouant ainsi naïvement qu’en entrant dans un parti on renonce à chercher uniquement le bien public et la justice.
Cet homme serait exclu de son parti, ou au moins en perdrait l’investiture ; il ne serait certainement pas élu. »
Simone Weil, Note sur la suppression générale des partis politiques.
