Nous rendons publics ces quelques éléments de discussion interne, à toutes fins utiles (les commentaires sont ouverts pour toute contribution éventuelle sous quelque forme que ce soit).
Nous sommes face à un coup d’état décomplexé d’une oligarchie, d’une élite mafieuse et mondiale. D’où l’arrogance des décisionnaires. La décision du conseil d’état, loin d’être une surprise vu les précédents, est une provocation assumée par ceux qui ont la force et le droit pour eux, cache misère de ce triste spectacle de domination. Cependant cette clique déconnectée n’a pas pris la mesure de la vague protestataire et populaire qui s’accumule depuis les gilets jaunes. Macron apparaît comme la marionnette d’une dictature qui ne survivra pas à la décision du conseil constitutionnel. Il ne passera pas l’été ou au pire l’automne. Nous entrons dans la phase de résistance violente du peuple qui a compris, comme l’écrivait Simone Weil, que les partis politiques et le droit, sont les instruments, non de la démocratie, mais de la conquête du pouvoir et du maintien au pouvoir par l’auto légitimation de la loi, d’une caste économique. Le fascisme est là. Il n’est pas un accident de l’histoire, mais la logique même du capitalisme qui tend naturellement au monopole de l’économie et donc à l’esclavage généralisé, et au contrôle absolu du pouvoir et des esprits lorsque la technologie le permet, ce qui est le cas depuis la révolution informatique. Macron fera la fin de Louis XVI. Il vient de légitimer et de fonder la résistance violente à ce système.
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Ce que sent intuitivement le peuple, c’est que le droit ne vise pas le juste, mais à légitimer le pouvoir dont le droit est l’émanation.
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Lorsque la supercherie éclate au grand jour et dissipe l’illusion collective dans la croyance à la démocratie et que cela s’accompagne du sentiment d’humiliation face au mépris persistant d’un pouvoir verrouillant ostensiblement tous les contre pouvoirs, nous entrons de plain pied dans la phase révolutionnaire. L’extrême centre dont le pouvoir en place se réclame n’est que l’autre nom du fascisme. Il appelle naturellement son pendant, la révolution.
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La question que je me pose, c’est celle de la cohésion du peuple par rapport à son usure, les contraintes qui pèsent sur lui, ses restes d’illusions, ses divisions, son découragement face à l’immensité des forces et mécanismes qui le tiennent, et enfin a-t-il retrouvé à ce stade assez d’intelligence collective pour mener un combat créatif : sabotages, boycotts, occupations, perturbations d’un côté ; solidarités, générosités, de l’autre.
J’avais bien senti dès le début de l’année que les conditions d’un bouleversement insurrectionnel étaient réunies, tout en mesurant à quel point le peuple était pour ainsi dire à réinventer, tant il a été aliéné, atomisé et divisé depuis si longtemps.
Ce qui me semble sûr, c’est que la situation lui donne la possibilité de se reformer. Mais il y a de tels obstacles externes et internes qu’il me semble qu’il faudra encore bien des événements pour opérer les décantations nécessaires.
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Il me semble que ce sont les situations et les obstacles qui obligeront le peuple à élever son niveau d’intelligence collective et de résistance créative. C’est l’adversité qui forgera et unifiera le peuple. À ce stade, il y a des peuples, difficiles à cerner et à définir mais les bonnets rouges, les gilets jaunes, les victimes de la tyrannie sanitaire et de la crise covid, maintenant les retraites, tout cela tend à unir, à fusionner les attentes, les rancœurs et les désillusions face aux institutions qui ont montré leur degré de soumission à l’oligarchie et leur corruption. Il n’y plus de retour en arrière possible. Nous rentrons dans une phase d’accélération du mouvement après une première phase légitimiste et légaliste. La phase qui vient remettra en cause l’institution même de la cinquième république. Nous entrons dans une période cruciale où le pouvoir va se raidir, où des puissances étrangères auront aussi intérêt à soutenir le parti de la révolte ou celui de la répression dans un scénario à la syrienne. Tout est possible. Nous vivons peut-être en direct, depuis 2005 et le référendum trahi, les prémisses d’une crise de régime qui ressemble fort à la crise préludant à la guerre d’Espagne. Tout est possible.
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Nous assistons à la lente mais sûre cristallisation des colères et, à travers elles, de la lente prise de conscience par le peuple de sa réalité sociale et historique comme force politique.
« … Quand jouirons-nous ? Nous avons rendu la somme de nos fatigues annuelles et journalières la moindre qu’il était possible… »
Diderot, Discours du vieux Tahitien.
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Aurélien Berlan (« Terre et liberté – La quête d’autonomie contre le fantasme de délivrance », La Lenteur éditions) oppose « quête d’autonomie » et « fantasme de délivrance ».
On serait tenté de lui répondre que la quête d’autonomie est une délivrance, selon le schéma même qu’il expose : « se construire un habitat, produire ses subsistances, veiller à sa santé, s’organiser avec les autres, etc., tout cela ne doit pas être délégué à des organisations (entreprises, administrations, partis) qui finissent par dicter leurs intérêts. »
Mais ce que dit en substance Berlan, c’est que le « fantasme de délivrance » se berce d’illusions, en voulant « se délivrer de la pénibilité du travail, abolir la souffrance physique, repousser la mort » à quoi il ajoute curieusement « ne plus avoir besoin de faire avec les autres. »
Se berçant d’illusions, ce fantasme produit/nourrit le monde illusoire de la société du spectacle, sur la base du postulat, également illusoire – mais partagé par le capitalisme comme par ses opposants traditionnels -, que « c’est seulement quand tout sera présent en abondance que les conditions seront remplies pour dépasser toutes les formes de domination – c’est ce que l’on pourrait appeler un programme de délivrance par l’abondance. »
Or cette soi-disant « délivrance » revient en fait à prendre acte d’une perte radicale d’autonomie sous le mirage du « progrès » : comme le note l’auteur, « ce qu’on attend du Progrès, c’est qu’il nous délivre du labeur, de la douleur et même des difficultés de la vie collective (on rêve d’un « gouvernement des savants », voire d’une « machine à gouverner » prenant les décisions de manière automatique et cybernétique) ».
Quant à « la mécanique et la robotique » elles « travaillent à nous délivrer de toute tache manuelle et de tout effort physique ». Enfin, « la médecine et les biotechnologies nous promettent d’abolir la souffrance et de repousser la mort. »
Cela ressemble assez à la « tyrannie douce » superbement décrite par Tocqueville, mais qui s’est révélée moins douce que prévue finalement.
Sauf qu’il y a un premier problème, c’est que le mirage de l’abondance s’est définitivement dissipé. Et un autre encore, qui est que, loin de délivrer les pauvres du labeur et de la douleur, les gouvernants, tout équipés soient-ils de leur « machine à gouverner », désormais contraints de remplacer le spectacle de l’abondance par celui de la raréfaction, se retrouvent aussi dans l’obligation de remplacer le spectacle de la jouissance par celui de « la valeur travail ».
On ne dit plus aux spectateurs que « ce qui apparaît est bon », mais que c’est catastrophique et pas autrement, et estimez-vous heureux que ce ne soit pas pire (grâce aux gouvernants et à leur machine à gouverner).
Les gouvernants ne nous demandent visiblement plus d’attendre du « Progrès » qu’il nous délivre du labeur et de la douleur, mais seulement d’espérer, au contraire, qu’il puisse encore distribuer aux plus laborieux quelques miettes empoisonnées et, pour les souffrances engendrées, les pseudo-remèdes qui vont avec.
En clair, le « fantasme de délivrance » a fait long feu.
Reste la légitime et toujours plus nécessaire quête d’autonomie. Quoi de plus naturel, quand l’artificiel menace si concrètement de s’effondrer par pans entiers de tous côtés ?
Donc, « se construire un habitat, produire ses subsistances, veiller à sa santé, s’organiser avec les autres ».
Cela devrait-il impliquer de la peine, du labeur, de la douleur ? Possiblement, mais pas nécessairement.
C’est ce que nous allons examiner, sous un jour plus poétique.
« Plus c’est poétique, plus c’est vrai. »
Novalis, Poésie, réel absolu.
Comment transformer le plomb de la nécessité en or du possible ? C’est ici que se tient non pas le fantasme, mais le désir de délivrance, comme un accroissement, une ouverture, un conatus.
Certes la pesanteur existe, mais la grâce aussi, pour parler comme Simone Weil, et ce ne sont pas deux opposées, mais les deux composantes d’une même alchimie.
Ce que je fais d’un cœur léger ne pèse pas de la même façon que ce que je fais contraint et forcé. La pesanteur ne pèse que si on la sépare de la grâce. Le partage, la fraternité, la générosité, les éclats de joie, les sourires intérieurs, et les sourires complices, le plaisir jusque dans l’effort, l’amour qui nous étreint, sont ces matériaux sans poids, que tout le monde a expérimenté un jour ou l’autre, capables de transformer en cerfs-volants tous nos élans.
Creuser, polir, marteler, cuire, cueillir, ramasser, tresser, façonner sont des activités manuelles, mais qui peuvent aussi avoir des ailes.
Pourquoi séparer la terre et l’air, l’instrument et la chanson, l’œuvre et l’admiration, l’effort et la respiration, bref tout ce qui est terrestre de tout ce qui est céleste. La terre n’habite-t-elle pas elle aussi dans le ciel ?
La délivrance, c’est de trouver ou retrouver tous les liens, sur la terre comme au ciel, qui rendent communicants – et comme sœurs et frères – la pesanteur et le léger, le sol épais et le germe qui y nait.
Concluons. L’autonomie est nécessaire, la critique du progrès l’implique. Quant à la délivrance, il suffit dès maintenant de la… délivrer de tout fantasme, en l’expérimentant dans la beauté de l’acte juste, l’acte unitaire : l’acte totalement naturel, totalement culturel, totalement terrestre, totalement cosmique.
Après tant de malheurs, de pleurs, de misères, de déceptions, de cruautés, d’impostures et de mensonges, le monde ne croit plus au paradis, et c’est tant mieux, car ce n’est pas une croyance. Ce n’est que la forme que prend spontanément le cœur aimant de chaque enfant non déformé.