La réforme des retraites va passer. Bien que des économistes aient prouvé les mensonges du gouvernement : non il n’y aura pas une pension minimum de 1200 euros, oui la réforme va davantage impacter les femmes.
Bien que le Conseil d’orientation des retraites (COR) ait prouvé que le système de financement des retraites n’était pas en déficit, les caisses de retraites étant excédentaires de près de 900 millions d’euros, d’après le rapport annuel du publié en septembre 2022.
Bien que les chiffres sur l’espérance de vie prouve qu’un ouvrier vit 13 ans de moins qu’un cadre.
Bien que nous soyons des millions à faire grève et manifester.
Et nous aurons beau prouver, répéter, battre le pavé, la réforme des retraites passera. C’est l’autorité d’un homme qui en jeu.
Un homme malade du pouvoir. Insensible, autoritariste, méprisant.
À travers ses multiples apparitions et interventions, Macron nous fait passer des messages sans aucune ambiguïté ni subtilité.
Première manifestation : lui et ses ministres partent en voyage officiel en Espagne. Le message est clair pour l’avenir : ils n’écouteront pas les arguments du peuple, ni la colère, ni le désespoir.
Manifestation du 16 février : Macron remet à Jeff Bezos la légion d’honneur.
Il dit merci à Amazon de dissimuler 57 % de son chiffre d’affaires réalisé en France pour pratiquer une évasion fiscale massive en déplaçant une grande partie de ses bénéfices vers l’étranger.
Il dit merci à Amazon Web Services qui a émis 55,8 millions de tonnes de gaz à effet de serre en 2018, soit l’équivalent des émissions du Portugal et d’avoir détruit 3 millions de produits neufs en France en 2018.
Il dit merci à Amazon de développer sa présence en France en faisant travailler majoritairement des personnes ayant des contrats précaires, notamment en intérim, qui s’épuisent dans des entrepôts gigantesques.
Il dit merci à Amazon, de détruire 2 emplois à chaque fois qu’il en crée 1.
Il dit merci à Amazon de profiter d’une fraude massive à la taxe sur la valeur ajoutée et donc de renforcer la concurrence déloyale vis-à-vis des petits commerces qui acquittent la TVA et doivent donc la répercuter sur leurs prix de vente.
Il dit merci à toi, Jeff, de contribuer à la destruction des conquis sociaux, au réchauffement climatique, et à la fraude fiscale des 1% les plus riches.
Et à nous, il nous dit : manifestez, je m’en fous ! Je vous emmerde, je préfère décorer un homme de pouvoir serviteur du Capital, pourvoyeur de précarité.
Pendant que la France entière se prépare à la manifestation du 7 mars, Macron prend le large pour aller faire un remake de Tintin – le colon blanc – au Congo qui boit une bonne bière.
La communication est rodée et le message est clair : il s’en CONTREFOUT de nos mobilisations.
Et puis après ce 7 mars où la mobilisation fut massive et déterminée, nous découvrons les propos bellicistes d’un Président et d’un de ses conseillers qui nous mettent au défi. « Le seul scénario où il lâchera, c’est si Paris est en feu, s’il y a un problème aigu de maintien de l’ordre. Cela ne peut être qu’un scénario extérieur, un mort dans une manifestation, ou un attentat » .
Il n’y a pas de hasard dans la communication présidentielle : ils savent que nous ne mettrons pas le feu à Paris, ils savent que nous ne sommes pas prêts à risquer nos vies.
Macron nous l’a assez répété « nous sommes en guerre ». Il est en guerre.
Contre les conquis sociaux, contre les personnes précaires (ceux qui ne sont rien), contre les musulmans, contre les associations.
Oui, lui et ses sbires provoquent. Ils aiment la violence de la rue car ils peuvent l’instrumentaliser à posteriori.
Cela leur permet de dégainer l’état d’urgence permanent, de pondre des lois telles que la loi « PPL Sécurité Globale » donnant les pleins pouvoirs à une institution policière au service des puissants, au service du Capital, une institution violente et gangrénée par le racisme et la misogynie.
Céder à leur provocation c’est perdre.
Continuer de defiler pacifiquement c’est aussi perdre.
Une des solutions pour faire plier le chef de l’État et le gouvernement serait la grève générale et totale.
Un arrêt complet du pays qui toucherait durement l’économie. Et ça c’est Macron lui-même qui le dit ! Mais il ne prend pas beaucoup de risque en annonçant cela car dans ce contexte inflationniste où des millions de personnes ne peuvent plus manger à leur faim, où le gouvernement veille à la précarisation des plus démunis en refusant les repas à un euro pour les étudiants et en réformant l’assurance chômage, le Président sait qu’il est impossible pour une grande partie de la population de perdre ne serait-ce qu’un seul jour de salaire.
Le système est bien fait : telle une strangulation douce qui laisse passer un mince filet d’air dans nos poumons.
Assez pour survivre mais pas pour vivre.
Si nous voulons que cesse cet acharnement des puissants à nous asservir et nous appauvrir, l’unique question à se poser est : quelle est la plus grande crainte du pouvoir ?
Je repense alors à une citation de Machiavel : « Celui qui contrôle la peur des gens devient le maître de leurs âmes. »
La plus grande terreur du pouvoir, à mon sens, serait donc la disparition de nos propres peurs.
Le pouvoir de quelques-uns ne tient que par leurs capacités à engendrer des peurs : peur de ne pas manger à sa faim, peur de sa police, peur de perdre son emploi, peur d’être stigmatisé, exclu, enfermé.
Alors pour se donner le courage de ne plus avoir peur, nous pouvons continuer à nous réunir en manifestant, en débattant, en organisant la lutte et les blocages, car il est rassurant de savoir que nous sommes des millions.
Nous pouvons écrire et témoigner pour exorciser les dites-peurs.
Et nous pouvons relire ces quelques phrases de Günther Anders pour rester éveillés : « Le conditionnement produira ainsi de lui-même une telle intégration, que la seule peur (qu’il faudra entretenir) sera celle d’être exclus du système et donc de ne plus pouvoir accéder aux conditions matérielles nécessaires au bonheur. L’homme de masse, ainsi produit, doit être traité comme ce qu’il est: un produit, un veau, et il doit être surveillé comme doit l’être un troupeau. Tout ce qui permet d’endormir sa lucidité, son esprit critique est bon socialement, ce qui risquerait de l’éveiller doit être combattu, ridiculisé, étouffé… Toute doctrine remettant en cause le système doit d’abord être désignée comme subversive et terroriste et ceux qui la soutiennent devront ensuite être traités comme tels. »
Il fut un temps où la communauté humaine vivait dans la communauté cosmique, de façon organique. La connaissance rêvait dans le tout et germait comme telle dans la communauté humaine. La pierre, la fleur, l’oiseau chantaient en elle, dans la jouissance poétique de l’instant. Le savoir et le savoir-faire se déposaient, poussaient, volaient comme la pierre, la fleur, l’oiseau, enseignés par la pierre, la fleur, l’oiseau. Mais il y eut un faux geste, d’une violence insoupçonnée : le geste qui saisit dans un arrachement, et la main se referma sur l’objet mort. La pierre, la fleur, l’oiseau devinrent propriétés. Le savoir s’était séparé du tout, sépara tout, s’empara de tout. De la pierre, la fleur, l’oiseau il ne retint que leurs propriétés séparées, les propriétés dont le savoir séparé sait se rendre propriétaire. Le savoir originel du savoir séparé fut le savoir dominer. La pierre, la fleur, l’oiseau prirent de la valeur, qui est leur être privé d’être. La valeur était née, qui est l’être qui n’a pas besoin d’être pour être ; la richesse des choses abstraction faite des choses : la richesse abstraite, l’éclat du monde privé de monde. L’or en fut l’incarnation, la matérialisation symbolique, qui prit la brillance et la forme du soleil, et ainsi naquit la monnaie, qui assure depuis lors la célébrité du dieu argent.
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A brief history of everything minus everything.
There was a time when the human community lived in the cosmic community, organically.
Knowledge dreamed in the whole and germinated as such in the human community.
The stone, the flower, the bird sang in it, in the poetic enjoyment of the moment.
The knowledge and the know-how were deposited, grew, flew like the stone, the flower, the bird, taught by the stone, the flower, the bird.
But there was a false gesture, of an unsuspected violence: the gesture that seized in a snatching, and the hand closed on the dead object.
The stone, the flower, the bird became property.
The knowledge had separated itself from the whole, separated everything, seized everything.
From the stone, the flower, the bird it retained only their separate properties, the properties of which the separated knowledge knows how to make itself the owner.
The original knowledge of the separated knowledge was the knowledge to dominate.
The stone, the flower, the bird took value, which is their being deprived of being.
The value was born, which is the being that does not need to be to be; the wealth of things abstracted from things: the abstract wealth, the brightness of the world deprived of world.
Gold was the incarnation, the symbolic materialization, which took the brilliance and the form of the sun, and thus was born the currency, which ensures since then the fame of the money-god.
Capitalism gives work to the worker, but this work is the production of money; money formats and reduces the activity of the worker as a strict process of production of money, whatever the commodity produced, a commodity whose final and fundamental function is to be transformed in turn into money.
Capitalism therefore tends to erase from the face of the earth any form of work whose content, modalities, execution, rhythm, do not allow or do not allow enough money to be produced, or worse, do not produce money at all. The profitability of the activity organizes the totality of the aspects of the work required of the worker.
Capitalism is thus the destruction, the denaturation, the alienation and finally the total replacement of all human activity by a simulacrum (which has only the appearance of what it claims to be).
Capitalism does the same with everything: animals, plants, minerals. It does not only take over nature, but also formats it and reduces it to a strict process of money production. Etc.
The aim of capitalism is thus the destruction, the denaturation, the alienation and finally the total replacement of all reality by a simulacrum. It is easy to understand that the production of this simulacrum in place of reality can only degrade it, in all its aspects, and then lead it to extinction.
In the end, when everything has become a commodity, when only money is working and growing, we will realize that there is nothing left. And that will be the end.
Le capitalisme donne du travail à l’ouvrier, mais ce travail est production d’argent ; l’argent formate et réduit l’activité de l’ouvrier en tant que strict processus de production d’argent et ce, quelle que soit la marchandise produite, marchandise dont la fonction finale et fondamentale est de se transformer à son tour en argent.
Le capitalisme tend donc à effacer de la surface de la terre toute forme de travail dont la teneur, les modalités, l’effectuation, le rythme, ne permettent pas ou pas assez de produire assez d’argent ou pire, ne produisent pas du tout d’argent. La rentabilité de l’activité organise la totalité des aspects du travail demandé à l’ouvrier.
Le capitalisme est donc la destruction, la dénaturation, l’aliénation et finalement le remplacement total de toute activité humaine par un simulacre (ce qui n’a que l’apparence de ce qu’il prétend être).
Le capitalisme en fait de même avec toute chose : animaux, végétaux, minéraux. Il ne fait pas qu’arraisonner la nature, il la formate et la réduit en tant que strict processus de production d’argent. Etc.
La finalité du capitalisme est donc la destruction, la dénaturation, l’aliénation et finalement le remplacement total de toute la réalité par un simulacre. Il est aisé de comprendre que la production de ce simulacre en lieu et place de la réalité ne peut que la dégrader, dans tous ses aspects, puis la mener à l’extinction.
A la fin donc, quand tout sera devenu marchandise, quand ne travaillera et ne poussera plus que l’argent, on s’apercevra qu’il n’y a plus rien. Et ce sera la fin.
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P.S : Contribution à la destruction du culte de l’argent :
La critique et l’analyse de l’argent : son pouvoir, la fascination qu’il exerce – son influence, visible et invisible, sur les relations humaines, sur notre rapport à la nature. Bref, son s et son emprise sont ici auscultés de façon pénétrante et novatrice, au-delà du schéma marxiste et des poncifs moraux. Un outil majeur – et d’actualité – pour déconstruire le culte planétaire dominant :
La logique binaire est mortifère. Chercher toujours le tiers secrètement inclus.
Basarab Nicolescu.
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L’ouvrage d’Alain Santacreu est simultanément une « quête » et une enquête. Une enquête sur la nature et les causes de la conscience anarchiste ; et une quête de la sorte de connaissance qui se déploierait dans une société anarchiste.
Cette connaissance ne serait assurément pas une doxa et pas plus un ensemble de dogmes, car la première évasion anarchiste, que chacun peut expérimenter, s’opère contre « la domination de l’opinion ».
Cette connaissance relève de l’anarchie positive – en opposition créatrice aussi bien à la domination qu’à l’anarchie dans le sens du désordre – anarchie positive qui tient ensemble les contraires, non dans leur effacement ou leur dilution, mais dans le dynamisme propre à la vie elle-même ; dynamisme qui signale la conscience éclairée : « pour voir, il faut se tourner à la fois vers la lumière et vers l’ombre, voir le noir et blanc simultanément. »
Faute de quoi l’on retombe et l’on retombera dans « l’homogénéisation totalitaire », qui rend la vue grise, quelle que soit la profusion des couleurs de nos écrans.
Il s’agit d’œuvrer à cette “dialectique de l’équilibre” qui faisait dire à Proudhon que « la plus haute perfection de la société se trouve dans l’union de l’ordre et de l’anarchie. »
Le dynamisme de la vie, Alain Santacreu s’en approche en convoquant la notion complexe de « tiers inclus » (héritée de Stéphane Lupasco), dont on se contentera ici de souligner qu’elle ruine l’absoluité du principe de non-contradiction, invitant à sortir de la binarité, en assumant la tension créatrice qui non seulement permet les dépassements, mais vit de sa vie propre.
L’auteur développe de là une pensée de l’interstice, de « l’intervalle » par où « il est possible de s’extraire du rêve imposé par la “Société du spectacle” » (un camarade nous a fait remarquer qu’on trouve aussi cette notion d’intervalle, et de manière persistante, dans la culture japonaise ancienne. Le Ma, l’espace entre les choses mais qui est dans le même temps ce qui les relie et où se concentre l’essentiel de la tension. S’y rajoute également la notion de seuil, ce par quoi l’on accède).
A cette idée d’intervalle s’adjoint celle de talvera : les dictionnaires en donnent une signification négative : « espace qu’on ne peut labourer ». « Pourtant, poursuit l’auteur, il existe en occitan le verbe talverar qui signifie « travailler les bords d’un champs ». En effet, si la lisière du champ peut être laissée en friche pour servir de chemin entre les parcelles cultivées, il est possible de la travailler d’une autre manière que le champ. C’est ainsi, qu’aux sillons labourés dans la longueur peuvent s’en substituer d’autres, tracés dans la largeur par le piochage, le bêchage et le sarclage de la terre. On y produit alors des cultures “mineures” : choux, betteraves, pommes de terre, etc. » Et de poursuivre : « l’oubli de la talvera – non seulement du concept mais du mot qui le désigne – doit être mis en perspective avec toutes les dominations élitistes qui privilégient le centre aux dépens de la périphérie. Le concept de talvera prouve la nécessaire hétérogénéité de l’espace social. Il rompt l’uniformisation imposée par la réduction centralisatrice d’un modèle unique. »
Nous voici donc à la lisière d’un autre monde, intervalle d’où se conçoit, renaît et s’expérimente, pour reprendre les mots de Gustav Landauer, « la communauté primordiale et universelle : la communauté avec le genre humain et avec l’univers. »
Aussi prisonniers que nous nous trouvions du « camp globalisé », « réalisation finale de l’espace capitalistique, l’espace d’exception analysé par Agamben », « zone d’indistinction indéfinie de la marchandise », l’auteur peut donc relever que pourtant « chacun d’entre nous occupe un point de l’espace-camp d’où il lui appartient de s’élever pour renaître à l’humain. »
Nothing is equivalent to nothing. Money is the general equivalent of all things only in the factual account of the economy. It is in reality the universal alchemist, who indeed transforms everything into gold; but into gold that turns everything into mud. To make one thing equivalent to another is not only to deprive it of its own value, but above all to denature it and to denature the relation implied in its nature. A merchant’s smile is no longer a smile, but the grin of a merchant. What is bought is not reality, but its economic version, which distorts all reality. In the economic version of reality, everything can be bought and sold, except to those who cannot afford to pay. And since only the rich can afford to pay for everything, all reality belongs to the rich, in act or in potential, minus the crumbs. The crumbs belong to the poor, but not even as crumbs; as the waste of the rich; as what remains of reality, once the rich have used it, and used it, to make all things equivalent to money; to denature all things. Reality has become the garbage of the rich, and the poor the garbage collectors.
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Rien n’est équivalent à rien.
L’argent n’est l’équivalent général de toutes choses que dans le compte de faits de l’économie.
Il est en réalité l’alchimiste universel, qui transforme effectivement tout en or ; mais en or qui fait de tout de la boue.
Rendre une chose équivalente à une autre, c’est non seulement lui retirer sa valeur propre, mais c’est surtout la dénaturer et dénaturer la relation impliquée dans sa nature.
Un sourire marchand n’est plus un sourire, mais le rictus d’un marchand.
Ce qui s’achète, ce n’est pas la réalité, mais sa version économique, qui fausse toute réalité.
Dans la version économique de la réalité, tout s’achète et tout se vend, sauf à qui n’a pas de quoi payer.
Et comme seuls les riches ont de quoi tout payer, toute la réalité appartient aux riches, en acte ou en puissance, moins les miettes.
Les miettes appartiennent aux pauvres, mais pas même comme miettes ; comme déchets des riches ; comme ce qui reste de la réalité, une fois que les riches s’y sont servis, et s’en sont servi, pour rendre toutes choses équivalentes à l’argent ; pour dénaturer toute chose.
La réalité est devenue la poubelle des riches, et les pauvres des éboueurs.
Un contact imprévu s’est établi entre l’O.S et le poète essayiste Ali Benziane, que nous ne connaissions pas du tout. Outre des ouvrages de poésie, il a récemment publié un livre intitulé « L’épreuve de vérité ? » (Sous-titré « que nous révèle l’après-Covid»). Ce texte est étonnant à plusieurs titres, mais particulièrement par la conjonction qui s’y opère entre une pensée critique radicale et une dimension « spirituelle » (sans rapport avec le nouvel-âge ou la mode du développement personnel, qui n’est autre que le développement personnel de l’aliénation). Notre compréhension de sa perspective pourrait se résumer par : « Aux âmes citoyens ! », en entendant/en postulant sous le mot « âme » ce que nous qualifierions quant à nous de possible « fond humain subsistant » (et résistant). Après quelques échanges, nous sommes tombés d’accord sur le principe d’un entretien, dont nous retranscrivons ici l’essentiel.
Qu’est-ce qui vous a motivé à écrire votre livre « L’épreuve de vérité ? »
Le philosophe Mehdi Belhaj Kacem, qui m’a fait l’honneur et l’amitié de préfacer mon ouvrage, a donné la meilleure définition de ce que nous vivons depuis mars 2020 avec l’expression : “feu d’artifice aléthéologique”. Ce néologisme provient du mot grec aletheia que l’on peut définir comme le dévoilement-toujours brutal, intense et éminemment conflictuel- de ce qui était jusqu’alors en retrait, à savoir la vérité de l’être.
C’est précisément pour cela que « L’épreuve de vérité » est le titre le plus pertinent que je pouvais donner à mon essai, qui se propose justement de décortiquer ce qui se cache derrière le masque de cette pandémie organisée, et in fine de dessiner les contours d’un nouveau mécanisme de pouvoir global, destiné à prendre de plus en plus de place ces prochaines années, ainsi que les moyens les plus efficaces pour le combattre.
Quels sont ces contours selon vous ?
Ce qu’il faut d’abord comprendre c’est que le système a mis en scène son effondrement sous nos yeux, avec pour conséquence majeure une perte de sens généralisée, autrement dit : le Covid nous a brusquement ramenés à la réalité. La question est : de quelle réalité parle-t-on ? La véritable épreuve est que la réalité s’est elle-même dissoute depuis longtemps, elle est devenue entièrement parodique, ce qui entraîne une crise sans précédent des référents universels, une nécessité impérieuse de « principes immuables » (qu’on peut aussi nommer « invariants »). Ce vide est à l’origine de ce que j’appelle la parodie tragique, en revenant aux tragiques grecs et à Sophocle en particulier dont « l’Œdipe Roi » apporte un éclairage étonnant sur la réalité principielle de ce que l’occident (et je préciserai cette distinction ensuite) a subi avec la «pandémie covidienne ».
Etonnant en effet !
En fait, ce n’est pas si étonnant que cela, car je considère la tragédie comme une des clés majeures de la pensée occidentale, que la philosophie a honteusement essayé de cacher pendant des siècles sous un monceau informe de pseudo-métaphysique. Heidegger, quoi qu’on puisse en dire, a commencé à dépoussiérer les choses avec son retour aux présocratiques, mais c’est surtout Philippe Lacoue-Labarthe, un penseur d’une importance décisive, qui a contribué à réintégrer tout un pan oublié de la philosophie à travers les concepts de mimésis et de katharsis, directement liés à la tragédie grecque. En découvrant les travaux de Lacoue, j’ai compris qu’il était indispensable de lire sous le prisme renouvelé de la tragédie les événements tels qu’ils se déroulent en occident. S’ensuit dans mon travail, une interprétation inédite du mythe œdipien à partir de laquelle tout s’est éclairci.
Et en premier lieu, la notion de parodie généralisée qui renvoie directement au « spectacle intégré » de Guy Debord.
Pouvez-vous illustrer cela dans l’actualité que nous « vivons » ?
La guerre, qui est l’événement tragique par excellence (il suffit de se replonger dans « l’Iliade »), est systémiquementmise en scène : nous sommes très vite passés d’une pseudo-guerre contre un virus avec un état d’exception généralisé, à un conflit mondial qui ne dit pas son nom. Au sein d’un spectacle devenu total où un ancien acteur comique peut jouer le rôle d’un chef de guerre, quelqu’un comme Bernard Henri-Lévy, qui se filme en costume et chemise blanche immaculée sur le théâtre (au sens littéral ici) des opérations atlantistes, est particulièrement révélateur, car son jeu est en totale adéquation avec la réalité parodique que nous vivons maintenant.
Pouvez-vous revenir sur votre relation aux situationnistes, en lien avec votre « diagnostic » sur notre époque ?
J’ai découvert les situationnistes après l’écriture de mon livre (rendons grâce de nouveau à MBK), et il est vrai que ce que j’ai pu lire dans « La Société du spectacle » ainsi que dans ses « Commentaires » est entré immédiatement en résonance avec mes propres intuitions et avec le travail d’autres penseurs qui m’ont influencé.
Pour Debord, le spectacle irradie la réalité de sa fausseté, il s’intègre dans la réalité, mais cette dernière est toujours là, en arrière-plan pour ainsi dire. Avec le Covid, nous nous sommes rendu compte que la copie n’a pas seulement remplacé l’original, elle est devenue l’original. Et c’est là que le travail de Baudrillard, avec lequel je suis plus familier, peut être un apport intéressant à la pensée de Debord (même s’il a bien sûr ses limites), en introduisant la notion de simulacre intégral.
Ce qui est absolument nécessaire c’est d’abord de comprendre les dessous de la grande parodie avant d’élaborer des stratégies pour s’en libérer, ce qui implique un changement radical de paradigme. Un tel travail théorique a été effectué par Debord en son temps avec la création de l’internationale situationniste et son projet de « changer le monde », comme l’affirme Debord lui-même dans les premières lignes de son « Rapport sur la construction des situations » (1957).
Il y prend acte de la faillite de la culture dominante, en définissant au passage la culture comme “organisation de la vie” (renvoyant au “mode de vie” prôné par le poète TS Eliot), et constate le décalage entre l’action politique et les nouveaux mécanismes de pouvoir qui se mettaient en place à l’échelle mondiale. Il avait aussi compris les limites de la contestation ouvrière, qui s’était aliénée en assemblées de bureaucrates (dont les syndicats sont toujours les représentants les plus féroces), empêchant de fait l’aboutissement de toute révolution authentique.
C’est entre autres pour cela que Debord a décidé d’en finir avec l’IS après mai 68, pour éviter qu’elle ne dégénère à son tour en bureaucratie, car « on ne peut combattre l’aliénation sous des formes aliénées ».
Comment reliez-vous cette compréhension avec les enjeux de la situation présente ?
En fait, la question cruciale que pose Debord dans son Rapport est celle des possibilités d’une action révolutionnaire à travers la politique. Si à cette époque, il y avait encore un espoir à ce niveau là, force est de constater que ce n’est définitivement plus le cas actuellement pour la simple et bonne raison que la politique n’échappe pas à la grande parodie.
Posons donc la question qui tue (littéralement) : de quoi la politique est-elle devenue la parodie (ou la mimesis dégénérée) ? C’est dans le travail philosophique de Mehdi Belhaj Kacem et de ce qu’il appelle la « mimétologie généralisée » que nous trouvons la réponse : la politique est la parodie de la science et de ses lois.
Pire, à l’occasion de ce qu’on a appelé la crise sanitaire, la confusion manifeste entre la parodie et l’original est apparue au grand jour, soit la contiguïté entre la politique et la science, avec les conséquences désastreuses que l’on connaît.
Ici, le travail de Lacoue-Labarthe est salutaire car il nous montre que la coïncidence de la représentation et du représenté aboutit inévitablement au totalitarisme. Cela ne vous rappelle rien ? Tout devient théorie au sens performatif, comme dans le léninisme ou le nazisme, et l’être humain lui-même n’est qu’une partie de cette théorie généralisée que l’on peut exploiter et manipuler à dessein. La science est persuadée que son salut se trouve dans la politique, et cette dernière n’a pas d’autre choix que de se transformer en force autoritaire, voire militaire, pour maintenir coûte que coûte sa réalité illusoire.
Ce qui aboutit à l’alliance contre-nature entre la science et la force que je dénonce dans mon livre et qui sont les deux rouages principaux de ce que Gianfranco Sanguinetti a appelé « le despotisme occidental » dans son analyse de la pandémie (« La conversion des démocraties représentatives de l’Occident à un despotisme tout à fait nouveau a pris, à cause du virus, la figure juridique de la « force majeure » (en jurisprudence la force majeure est, comme on sait, un cas d’exonération de la responsabilité). Et donc le nouveau virus est, en même temps, le catalyseur de l’événement et l’élément de distraction des masses par la peur »). Leur alliance destructrice s’exprime au travers du personnage conceptuel de l’homme-œdipien sur lequel se fonde ma réflexion et qui permet de comprendre comment la force politique est arrivée à supplanter la science (elle-même dominée par l’hypertechnologie) pour en faire un instrument de pouvoir global.
L’homme-œdipien ?
L’homme-œdipien est aveuglé par son hubris, l’orgueil démesuré chez les Grecs, qui est en fait le symptôme de l’ignorance du différend ontologique sur lequel se fonde la notion de tragédie avec tout ce qu’elle comporte. C’est ce déni tragique qui enfante « l’Œdipe tyran », pour citer Hölderlin.
À partir de là, nous assistons à une véritable haine du symbolique. Voici à mon sens le cœur du problème, magnifiquement illustré par un texte hautement prophétique de Baudrillard intitulé « Prophylaxie et virulence », dans lequel il évoque l’apparition de « pathologies du troisième type » due à l’absence d’altérité du circuit fermé (incestueux) qu’est devenu notre monde et qui sécrète « cette altérité insaisissablequ’est le virus ». Le constat est percutant, mais il nécessite à son tour un dépassement, qui permet d’introduire les concepts indispensables de vérité et de tragédie, complètement phagocytés par le simulacre de Baudrillard, qui se veut sans rémission.
Sur quoi débouche cette analyse ?
C’est précisément à ce niveau qu’une pensée authentiquement métaphysique doit absolument prendre le relais de la philosophie. Pour moi, et c’est la particularité de mon travail, la pensée dite « traditionnelle », dont une des figures principales est à mes yeux René Guénon, est appropriée pour opérer ce relais. René Guénon prônait un retour aux « principes immuables » qui sont les fondements de ce qu’il appelait la « tradition universelle ».
C’est ce point de vue exclusivement métaphysique qui a empêché cette œuvre si particulière d’être récupérée par l’avant-garde littéraire de son époque (ses premiers ouvrages doctrinaux sont publiés au début des années 1920).
André Gide avait pourtant parfaitement conscience de la puissance intellectuelle de l’œuvre guénonienne qui a influencé d’autres artistes comme Raymond Queneau ou encore les poètes du Grand Jeu (René Daumal a entretenu une brève correspondance avec René Guénon). C’est encore à lui que l’on doit l’expression de « grande parodie » qui est le titre du dernier chapitre de l’un de ses livres majeurs : « Le règne de la quantité et les signes des temps ».
C’est-à-dire ?
Pour Guénon, la grande parodie désigne la confusion du psychique et du spirituel qui est pour ainsi dire le mal principiel du monde moderne. D’où la nécessité impérieuse d’une libération de l’esprit.
Et si Paul Valéry a écrit, au lendemain de la première guerre mondiale, que le chemin de l’esprit est celui que doit emprunter l’occident sans plus attendre, Guénon a de son côté balisé ce chemin, identifié les pièges et comblé les trous béants pour parcourir cette voie salutaire dans un monde moderne en pleine dissolution. Son travail théorique est une puissante entreprise de déconstruction de la pensée moderne qui appelle à la constitution de véritables foyers d’éclaireurs capables de participer à un sursaut émancipateur en occident.
De sorte que l’œuvre guénonienne reste à mon sens plus que jamais d’actualité en ces temps d’immanentisme intégral.
De quelle façon son travail pourrait-il être réinvesti dans la saisie de notre époque ?
Guénon nous a montré qu’à à notre époque tout se joue sur le terrain psychique et l’une des révélations majeures de l’état des lieux “post-covid” est l’apparition d’une nouvelle forme de pouvoir destinée à contrôler les esprits et que j’ai nommée le psychopouvoir, en reprenant le concept de Bernard Stiegler, dans une volonté de dépassement du « biopouvoir » de Michel Foucault. Non seulement le psychopouvoir s’étend à l’échelle mondiale (puisque c’est ainsi que sévissent les nouveaux mécanismes de domination depuis la “globalisation” et la toute-puissance des multinationales), mais c’est surtout une volonté de contrôle total de l’individu que je décris longuement dans mon livre et qui continuera à sévir sous d’autres masques (la lutte contre le réchauffement climatique sera la prochaine étape, il suffit d’être un peu attentif aux nouvelles lubies de Bill Gates…).
Guénon n’est pas le seul à avoir favorisé ce constat…
Bien sûr ! William S. Burroughs avait réussi à prédire un tel mécanisme de contrôle et à en définir les limites dans un fameux texte de 1978, peut-être parce qu’il savait mieux que personne ce que pouvait être le contrôle mental et ses conséquences…
Ses idées visionnaires ont été reprises par Deleuze, qui a qualifié la société de contrôle de déformateur universel et je pense que le monde a pris la pleine mesure de cette expression, quand des populations entières ont été réduites à l’état de QR codes ambulants…
L’horreur de la technoscience toute puissante amène tout droit au monde rêvé des transhumanistes, que j’ai nommé l’androïdocène (ou l’ère du « presque » humain).
Quelle en est selon vous la principale caractéristique ?
Ce qui est le plus redoutable c’est qu’il y a désormais une absence de représentation matérielle de l’aliénation.
Ainsi, si des voitures ont été brûlées lors du soulèvement ouvrier de mai 68, c’est qu’elles représentaient parfaitement l’aliénation capitaliste qui s’exerce à l’usine mais aussi pendant les loisirs, tandis que personne ne peut brûler un QR-code : il est complètement intégré à nos vies. Nous sommes donc apparemment « au-delà de toute désaliénation » comme disait Baudrillard.
Je parle de mon côté d’aliénation intériorisée : comme le montre encore l’absence de lieu circonscrit où s’exerce la domination : ce n’est plus l’usine ou l’entreprise ou le supermarché qui en sont le modèle mais « un immense camp à ciel ouvert », selon l’expression de Giorgio Agamben.
Un mécanisme de domination aussi insidieux va saturer la vie intérieure des individus qui pourront ainsi devenir les rouages du pouvoir de façon inconsciente.
On assiste alors au développement affolant de réseaux de surveillance/désinformation par lesquels s’exerce, comme l’écrivait Debord, une « conspiration en faveur de l’ordre établi » qui est en fait le véritable complotisme.
Ce constat appelle la nécessité d’une nouvelle forme de lutte contre ce pouvoir « flottant » dont le terrain de jeu privilégié est le psychisme des individus.
Et si, dans ce cas, la théorie relève du domaine de la métaphysique authentique (la connaissance des principes universels, si on préfère), la pratique sera quant à elle d’abord d’ordre spirituel.
Il faut bien comprendre que lorsque je parle de métaphysique, c’est d’un point de vue« traditionnel », c’est-à-dire dans le sens où l’entendait René Guénon dans sa tentative de réintégrer les invariants universels en occident, à l’aube du cataclysme qu’il pressentait dès la publication de son livre « Orient et Occident »… en 1924.
Dans la préface que j’ai écrite pour la réédition de cet ouvrage majeur aux éditions Fiat Lux, j’insiste sur le fait que la mentalité traditionnelle a été complètement rejetée en Occident, au moins depuis l’époque cartésienne.
Ce terme de « métaphysique » est-il encore audible aujourd’hui selon vous ?
Le déni métaphysique a fait l’objet d’un système philosophique en bonne et due forme avec à Kant, pour être définitivement acté par Nietzsche. La métaphysique a cessé d’être le principe de la philosophie et la confusion intellectuelle est telle que, depuis Heidegger (et sans doute bien avant lui), les philosophes ne savent même plus de quoi ils parlent lorsqu’ils évoquent la métaphysique.
Nous nous retrouvons avec des systèmes de pensée littéralement hors sujets qui, au lieu d’émanciper spirituellement les mentalités, les aliènent encore plus. In fine nous avons des « intellectuels » (supposons qu’ils soient dignes de mériter une telle dénomination, si celle-ci même a encore une dignité) qui se prennent pour l’élite du peuple tout en soutenant les mesures coercitives des politiques sanitaires, en faisant même de la surenchère !
La dichotomie Orient/Occident est donc avant tout une différence de mentalité, un conflit sur le terrain des principes entre « Tradition » et « Modernité », et ce n’est pas un hasard si les peuples qui ont été les plus épargnés par l’hécatombe pandémique, grâce à leur résistance aux politiques “sanitaires”, sont ceux qui sont le plus éloignés de la mentalité occidentale, autrement dit les peuples qui possèdent encore un “arrière-plan” spirituel.
Ce constat me rappelle celui de Debord qui relevait le succès de l’action du mouvement ouvrier dans les pays du tiers-monde, par opposition aux pays occidentaux gangrénés par des rapports sociaux dégénérés.
Vous affirmez la subsistance d’une sagesse populaire en quelque sorte.
Oui, cela nous ramène à un sujet qui me tient à cœur, ce qu’on pourrait appeler en effet « la sagesse populaire », car je suis convaincu de cette sagesse innée du peuple, que celui-ci possède ou non une conscience historique.
Debord aussi en était conscient, c’est pour cela qu’il s’est focalisé sur le mouvement ouvrier plutôt que sur la contestation étudiante pendant mai 68, en dépit des critiques. Et c’est ce qui nous permet d’aborder le sujet de l’alliance de la pratique et de la théorie avec l’introduction de la notion d’avant-garde.
« Être d’avant-garde, c’est marcher au pas de la réalité » disait l’I.S…
La position situationniste était très intéressante de ce point de vue car Debord considérait le mouvement qu’il avait contribué à créer comme la “théorie inconnue” d’une nouvelle forme de luttes (Debord souhaitait une faillite « brusque et sans ménagement » de la culture dominante…).
C’est donc bien de la création d’une avant-garde dont il est question ici. Il y a d’abord une « pratique de la théorie » qui doit se mettre en place avant le tournant décisif de « la théorie de la pratique », au cours duquel le mouvement doit trouver sa cohérence.
C’est lors de cette étape cruciale, marquée par les mouvements contestataires de mai 68, que la scission de l’internationale situationniste a eu lieu, car la nécessité d’un dépassement de la théorie s’est d’emblée imposée, pour ne pas tomber dans les travers de l’avant-garde léniniste. En effet, la révolution signe la fin des avant-gardes, et cette fin se mue soit en disparition soit en dégénérescence…
Alors… que faire… selon vous ?
L’idéal serait de retrouver une dynamique semblable à celle de l’IS, qui avait pour but principal de créer de “nouvelles ambiances”, capables de révolutionner la vie quotidienne des individus, grâce à la construction de situations adaptées aux conditions de l’époque.
L’influence intellectuelle de l’IS et son mode d’action me fascinent, non seulement parce que Debord a réussi à fédérer des intellectuels aux quatre coins du monde (France, Italie, Tunisie, Algérie, Québec, Angleterre, États-Unis…), mais surtout parce que cette influence s’est exercée de manière souterraine, en sous-main pour ainsi dire, jusqu’au rôle décisif des situationnistes dans le déclenchement des mouvements étudiants et surtout ouvriers.
Mais après mai 68, cette dynamique n’a pas su trouver une totale et plus vaste cohérence théorique et pratique, pour mener à bien son projet, ce qui a permis aux revendications séparées – et donc les plus facilement récupérables – d’altérer le mouvement de contestation ouvrière… La “libération sexuelle”… c’est à peu près tout ce qui reste de mai 68 dans la conscience collective…
Le mouvement révolutionnaire que je considère le plus adapté à notre époque est, vous l’aurez peut-être compris, unmai 68 spirituel. J’appelle de tous mes vœux à une fusion entre philosophie, spiritualité et révolution, dont le ciment serait la métaphysique, au sens que je viens d’esquisser.
Pouvez-vous préciser ?
L’introduction du point de vue « traditionnel » me paraît essentielle : il s’agit en quelque sorte d’oser prier sans entraves (pour plagier le fameux slogan situationniste : « Jouissez sans entraves »). La prière sans contraintes est une pratique puissante de contestation intérieure, et le symbole d’une vraie jouissance pour notre époque, porteuse de subversion… Notez que la prière est l’une des seules pratiques spirituelles à ne pas avoir été victime du spectacle perpétuel de la modernité, comme c’est le cas pour la méditation par exemple.
Ce qui effraie le plus le psychopouvoir et ceux qui sont contaminés par ce virus (beaucoup plus redoutable que tous les “Covid” réunis), c’est l’homme qui est libre intérieurement, qui arrive à transformer « le cri qui détruit en silence qui nourrit ».
Prier ???!!!
On assiste à une véritable soif métaphysique universelle qui doit maintenant trouver sa vérité subversive ; il suffit de voir le nombre de vidéo-montages (dans le flux infernal d’un célèbre réseau social chinois) qui représentent des apparitions angéliques et mariales (en Ukraine par exemple) et les millions de vues que cela génère…
En observant froidement ces tendances, on peut percevoir que le monde manifeste toujours plus visiblement la nostalgie de ses propres potentialités « divines », qu’il doit maintenant actualiser en toute conscience, et confiance.
C’est ça, « prier ».
Une conscience apocalyptique, encore passive, séparée et captive, est néanmoins en train d’émerger.
Les plus avancés dans ce mouvement d’émancipation, quelles que soient leurs attaches, origines, préférences, parcours intellectuels ou spirituels peuvent évidemment y contribuer. L’écrivain Philippe Sollers, par exemple, a compris que la spiritualité pouvait être utilisée dans une arme de guerre contre la religion du spectacle (la “scientofolie” comme il l’appelle). Il a essuyé beaucoup de critiques lors de sa fameuse rencontre avec Jean-Paul II, mais je pense malgré tout qu’il était visionnaire. Malheureusement, certaines structures qui pourraient déjà soutenir une telle dynamique sont encore très « frileuses » vis-à-vis de ce qu’elles considèrent encore comme un gros mot : pour l’anecdote, j’ai accordé il y a quelques mois un entretien à un média se proclamant libre, entretien qui a été amputé de moitié après montage, au moment même où je prononçais les mots « spiritualité » et « métaphysique »…
Il est cependant probable qu’un retour aux invariants spirituels universels puisse encore se faire : en occident, ceci deviendrait possible en libérant par exemple le potentiel émancipateur de l’enseignement de Jésus, par exemple.
Le renouvellement de la contemplation participe aussi de cette nouvelle avant-garde anti spectaculaire. Il s’agit d’une lectio divina dont on retrouve l’équivalent dans les traditions islamique et juive (ce qui est loin d’être étonnant car nous sommes dans le domaine des principes universels).
La lectio divina n’est pas autre chose qu’une modification des modes de perception capable de nous aider à renouer avec la catharsis, cœur de la tragédie, qui manque tant à cet occident devenu entièrement parodique.
On vous laisse conclure.
Conclure ou introduire ? Seule une révolution vécue intérieurement pourra nous sauver de la parodie intégrale que nous vivons : toute autre tentative, en particulier politique, est à mon sens vouée à l’échec.
Certains des plus grands intellectuels du XXème siècle ont vu une nouvelle forme de totalitarisme se dessiner au lendemain de la deuxième guerre mondiale et ont vite compris que la véritable résistance se situerait sur le terrain spirituel : Paul Valéry, Georges Bernanos, Ernst Jünger, Pier Paolo Pasolini ou encore Alexandre Grothendieck en font partie.
D’un côté, l’idée infinie de richesse colportée mais aliénée par l’incessant spectacle marchand – de l’autre, la comptabilité permanente imposée comme seule forme de vie par l’économie. Ce que la main gauche de l’argent fait miroiter au salarié considéré en tant que producteur, sa main droite le lui reprend aussitôt qu’elle le saisit comme consommateur. « Vous espérez une vie riche ? Aspirez à une vie de riches » : voilà le mensonge planétaire qui solidarise domination et soumission.
On the one hand, the infinite idea of wealth peddled but alienated by the incessant commodity spectacle – on the other, the permanent accounting imposed as the only form of life by the economy. What the left hand of money dangles in front of the wage earner as a producer, the right hand of money takes it away from him as soon as it seizes him as a consumer. « Do you hope for a rich life? Aspire to a rich man’s life »: this is the planetary lie that solidifies domination and submission.