Nous hériterons de toute la terre certes, mais ce n’est pas vraiment un cadeau, ou plutôt c’est un cadeau empoisonné. Et nous n’avons et n’aurons aucune baguette magique pour lui rendre instantanément sa beauté.
Outre l’empoisonnement de la biosphère, les relations humaines sont également empoisonnées.
Outre cela, nous hériterons de structures matérielles lourdes, qui ne disparaîtront pas par enchantement ni en les démantelant à l’aveugle, c’est-à-dire sans prendre en considération les dépendances parfois vitales qui y sont attachées.
Outre cela, nous hériterons de structures sociétales telles que le « droit » dont on ne se débarrassera pas en brûlant leurs livres.
C’est ce que nous mettons ici sommairement en perspective.
Le « droit » est toujours le droit du plus fort comme l’a mis en évidence Max Stirner, mais exprimé sous la forme fantastique et fétiche du droit de tous et pour tous. Le droit naturel qui découle de ma force, de nos forces, est perdant face à la force du plus fort déguisée en « droit » dit « positif ».
Il saute immédiatement aux yeux que ce qu’il s’agit d’abolir, ce sont les rapports de force. Mais cette abolition ne fera pas disparaître non plus magiquement les dispositions à imposer la force, à s’imposer par la force, dispositions ancrées chez beaucoup.
Il faudra donc assumer des rapports de force entre ceux qui seront prêts à s’imposer par la force et ceux qui se serviront de la force sans l’aimer et partant sans en abuser. Un usage contraint assumé en quelque sorte.
Outre cela, une fois le « droit » aboli dans son principe, destitué, désinstitutionalisé, certaines relations et transactions ne pourront pas toujours se faire sans s’entendre sur des règles d’équité. Ces règles devront être évolutives, adaptatives et souples, contrairement à la loi qui est fondamentalement inerte, rigide (quels que soient les correctifs dont elle se dote) ; une sorte de jurisprudence universelle dans un sens tout nouveau : non pas une jurisprudence subordonnée à la loi, mais une jurisprudence ayant aboli et remplacé la loi ; c’est-à-dire très concrètement un humble effort de justice, d’une justice basée sur la prudence au sens antique (l’exercice commun de la sagacité : c’est-à-dire de l’intuition, de la finesse et de l’intelligence collective).
Dans toutes les opérations requérant le recours à des règles écrites (déjà écrites ou à écrire), il faudra d’une part pouvoir consulter les archives de situations similaires, d’autre part trouver et s’entourer de personnes réputées de bon conseil, de bonne volonté, désintéressées et avisées, sans que ces personnes ne puissent pour autant former une institution.
Le principe général est donc le suivant : il n’y aura plus de « droit » dans le sens d’une institution chapeautant, cadrant la société (et donc autonome par rapport à la société), il n’y aura même pas la société comme entité autonome chapeautant, cadrant les relations entre les personnes. Mais il y aura les personnes, leurs relations, formant des microsociétés évolutives, changeantes, plus ou moins durables ou au contraire ponctuelles, parfois conflictuelles, parfois tendues, qui auront à régler leurs problèmes, à l’aide de règles parfois, à l’aide d’autres personnes souvent.
Un dernier point pour cette brève mise en perspective : l’ensemble des relations, des transactions se modifiera progressivement ; la progression humaine de chacun et de tous en sera la force motrice. Dans ce mouvement ascendant, la façon de percevoir les autres ; humains, « non-humains », vivants et « non-vivants » évoluera aussi, voire se métamorphosera dans des proportions et dimensions inédites. En tout cas, nous ne serons plus confrontés à des chiffres, à des matériaux, mais à des lieux, des milieux ayant leur naturalité, cultivée en tant que telle et non en tant que support d’une « culture » s’y imposant, des lieux et des milieux en interactions dont il s’agira avant tout – avant d’entreprendre de les modifier – de s’imprégner, de comprendre, d’aimer.
Début mars, la communication autorisée annonçait ceci, à propos du gouvernement :
« Le seul scénario où il lâchera , c’est si Paris est en feu, s’il y a un problème aigu de maintien de l’ordre. »
Si l’appel au soulèvement de Paris connu un certain succès d’affichage, il n’y eut ni de soulèvement, ni problème aigu de maintien de l’ordre. Tout resta dans l’ordre du scénario prévisible : des défilés bien encadrés, les débordements habituels, la répression féroce à laquelle nous a habitué l’État depuis les Gilets jaunes.
La question de la retraite permettait pourtant – en théorie – d’en venir à l’essentiel : se retirer tous ensemble de ce processus mortifère dont les effets sur l’humanité et sur la nature n’ont que trop duré – mais l’immense majorité n’y était pas vraiment disposée.
La corde de l’économie l’étrangle, la laisse de la soumission délimite sa liberté, le fétichisme de la marchandise occupe efficacement l’emploi de son temps.
Ce peuple étant néanmoins quelque peu réfractaire, il fut comme jamais bombardé par le Droit, pour mieux lui faire comprendre qu’il était toujours celui du plus fort.
Il n’en reste pas moins qu’un peu d’air émancipateur aura circulé : les relations se sont brusquement améliorées, des solidarités ont resurgi, avec la poésie de la fête, impulsée par l’intelligence collective, qui redécouvrait qu’elle existe, quand elle lâche les Smartphones.
Nous en déduisons à ce stade que le peuple peut encore et toujours reprendre forme humaine – et que ce qui s’est passé restera inscrit dans les mémoires comme une étape de cette reformation.
Le pouvoir ne s’y est pas trompé, jouant de l’hétérogénéité des insatisfactions pour mieux les diviser. Manifester pour la retraite, d’accord, pourvu que la conscience collective n’en vienne pas à remettre en question les finalités de l’aliénation salariale.
Il aurait suffi que cette conscience collective ait le temps de s’attarder, par exemple, sur les méfaits écologiques de l’aliénation, pour que la contestation s’élargisse et se radicalise.
Or à Sainte-Soline, où se trouve un cratère en terre battue et où il n’y a matériellement rien à casser, il y avait cependant le capitalisme techno-industriel qui risquait de casser dans les têtes, ces têtes dans lesquelles l’idée de révolution recommençait timidement de germer.
Ce genre de conjonction historique n’est jamais bon signe pour ceux qui gouvernent le maintien des désastres.
Il fallait donc provoquer un traumatisme social et désigner simultanément comme « terroristes » tous ceux qui essaieraient de s’équiper contre la machine à broyer.
Tout le monde fut officiellement prévenu la veille :
« Les Français vont voir des nouvelles images extrêmement violentes. »
Sainte-Soline était devenue de toute évidence une place imprenable, destinée à mutiler.
Pendant des heures, ce fut donc un champ de tir et de désolation.
La question de la violence pu alors occuper les débats, débats qui doivent bien sûr toujours être vus comme des forces d’occupation des esprits.
S’il y avait un risque, même minime, de voir les villes en feu et que se pose un problème aigu de maintien de l’ordre, il était désormais écarté. Non seulement aucune violence autre que celle de l’État ne serait en aucune façon tolérée, mais la sienne prendrait désormais sa forme la plus implacable.
Le traumatisme social a fonctionné, et lorsque les banlieues, quelques mois plus tard, entrèrent dans la danse, il n’y avait à peu près plus personne ne serait-ce qu’en état de comprendre pourquoi les plus méprisés parmi les dépossédés pouvaient s’en prendre à « leurs » magasins, « leurs » écoles, « leurs » transports » en commun, etc.
Contre ces dépossédés-là, maintenant bien casés aussi dans l’apartheid médiatico-politique, il était loisible de déchaîner une coalition inédite de forces répressives et punitives, avec l’approbation de la passivité des spectateurs, dont il faut admettre qu’ils ont maintenant besoin de vacances.
La marmite sociale ne bout donc plus, quoique l’été soit en feu, puisque aucun lien n’est permis entre les deux.
Comme on n’est jamais trop prudent, et que les gestionnaires des désastres savent qu’ils vont avoir beaucoup de pain (falsifié) sur la planche (à billets) , la police doit maintenant être rassurée pour ses éventuelles exactions à venir, qu’il s’agit d’absoudre, autant que pourra le permettre la façade délabrée de l’État de droit.
Inutile alors de tendre le bâton pour se faire battre, inutile de se jeter dans la gueule du loup : sa laideur devrait faire le nécessaire pour activer l’intelligence collective.
L’Observatoire situationniste n’a aucun lien d’aucune sorte avec le site « unelignedefuite.org » qui, sur sa page d’accueil (entre autres), affiche un lien « about us » renvoyant à la page d’accueil de… l’Observatoire.
Et en particulier, aucune connexion non plus avec ceci : TIQQUN 2.0
Post-scriptum : Le lien a été supprimé de la page d’accueil depuis la parution de ce démenti, il reste pour le moment sur l’autre page.
La marchandise éduque les pauvres. Elle leur donne et leur interdit le goût de l’argent. Autrement dit, le goût de la richesse. L’argent est la richesse de tout exilée de tout, toute la richesse de tout totalement privée de tout. Les pauvres sont éduqués à la richesse comme totalité, mais interdit de la vivre, sinon par miettes.
Dans l’émeute, les pauvres rejettent les miettes et s’emparent des parts du gâteau ; les marchandises, où se mire l’argent, autrement dit la richesse, autrement dit le monde, la totalité.
Les pauvres commencent à être riches du monde quand ils ne se suffisent plus des miettes que les politiciens leur proposent.
Ils s’enrichissent encore plus quand ils réalisent que les marchandises ne sont que des coquilles vides, d’où l’argent s’est échappé.
Ils deviendront riches du monde, riches de tout, quand ils réaliseront l’imposture absolue de l’argent.
La pauvreté, éduquée par l’argent, ne vise pas un monde de miettes, ni un monde de parts de gâteau, toutes choses que les politiciens leur proposent, mais le monde dans sa richesse totale, dans la totalité de sa richesse.
La désaliénation ne suit pas d’autre chemin que celui de l’aliénation.
Les jeunes des banlieues ont le droit de manifester contre les humiliations, les brimades, les discriminations, les exclusions, les harcèlements, les violences, les assassinats – à condition de supporter calmement le tout, que ce soit en manifestant ou dans la vie quotidienne. La violence de l’argent, de la dépossession, de la pauvreté, de la grisaille, du mépris doit être supportée et le système respecté, puisqu’il est garanti par la constitution, les élections et les débats télévisés. Il n’y a donc aucune explication ni signification à ce que certains vivent l’école comme une usine à inégalités, les centres culturels comme des espaces hors-sol, les transports en commun comme convois de déportation et les vitrines comme miroir de l’insatisfaction. L’usage des blindés est donc justifié.