Il y a des divorces qui font pleurer les enfants, d’autres qui amusent la galerie. Et puis il y a ceux qui révèlent, comme à leur insu, la pourriture des temps. Celui de Donald Trump et Elon Musk appartient à cette dernière catégorie : une rupture entre deux caricatures de l’époque, qui fait surgir toute la boue sous le vernis.
Ils s’étaient trouvés, ces deux-là, comme deux narcissismes dans un miroir sans tain. Trump, ploutocrate gélifié, roi d’un carnaval politique dégénéré, trouvait en Musk un reflet flatteur : même goût du coup de com’, même mépris boursouflé pour les règles, même appétit pour les foules dociles. Musk, enfant-roi des algorithmes, techno-messie en burnout permanent, flattait chez Trump l’idée d’un avenir modelé à coups de tweets rageurs et de fantasmes de grandeur.
Mais voilà que le spectacle se retourne. Rupture de contrat implicite. Musk se déclare « déçu » par Trump, Trump traite Musk de « pantin prétentieux », les tweets volent, les fans s’écharpent.
Et tout cela pue l’orgueil froissé, la stratégie ratée.
Duel entre deux avatars du capitalisme en roue libre. Trump veut devenir le centre du monde, Musk veut en être le propriétaire. Tous deux veulent être aimés, craints, commentés, immortalisés dans les flux d’information.
Alors ils se déchirent comme deux marques concurrentes, deux influenceurs en perte d’élan, dont la post-vérité ne suffit plus à faire récit.
L’élite dégénérée du XXIe siècle se dispute le trône d’une Rome en flammes.
Mais leur séparation pourrait annoncer des fractures plus profondes dans l’architecture idéologique du capitalisme tardif. Car ce que symbolisait leur alliance, c’était un pacte implicite : l’union entre la brutalité politique la plus archaïque et le fétichisme technologique le plus avancé. Deux faces d’une même médaille toxique. Et voici que la médaille se fend.
Un, deux, trois sommeil.
1. Dislocation du bloc populiste-technoïde
Jusqu’ici, les droites populistes pouvaient compter sur un soutien plus ou moins ouvert des tycoons technologiques : liberté de parole sans entrave, fantasme d’un monde sans régulation, apologie de la réussite individuelle comme unique boussole. Musk incarnait ce chaînon : technolibéral, provocateur, milliardaire jouant au rebelle.
La fin de son alignement avec Trump signale une désynchronisation entre les patrons de la tech et les chefs de meute politiques.
2. Décrédibilisation des “génies” de la Silicon Valley
Musk s’est longtemps fait passer pour l’ingénieur-messie, l’homme providentiel capable de coloniser Mars, de libérer Twitter, de sauver l’humanité du réchauffement. Or en s’engageant dans des querelles dignes de télé-réalité avec Trump, il perd ce vernis de neutralité technique qui le rendait utile au système.
Plus il parle, plus il révèle que la tech n’est pas gouvernée par la raison, mais par des hommes capricieux, instables.
3. Déficit d’unification idéologique du capitalisme de demain
Le pacte Trump–Musk offrait une synthèse dysfonctionnelle mais efficace : la main de fer politique avec le gant de velours numérique. L’un excitait les foules, l’autre les connectait. L’un promettait le retour d’un ordre viril, l’autre vendait la fuite en avant vers l’innovation permanente. Séparés, ces récits deviennent bancals.
Le capitalisme actuel a besoin d’un récit fédérateur. S’il perd ses conteurs — ou si ceux-ci se discréditent mutuellement — alors la machine commence à bafouiller.






