« En quête d’une gnose anarchiste », petites notes de lecture.

La logique binaire est mortifère. Chercher toujours le tiers secrètement inclus.

Basarab Nicolescu.

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L’ouvrage d’Alain Santacreu est simultanément une « quête » et une enquête. Une enquête sur la nature et les causes de la conscience anarchiste ; et une quête de la sorte de connaissance qui se déploierait dans une société anarchiste.

Cette connaissance ne serait assurément pas une doxa et pas plus un ensemble de dogmes, car la première évasion anarchiste, que chacun peut expérimenter, s’opère contre  « la domination de l’opinion ».

Cette connaissance relève de l’anarchie positive – en opposition créatrice aussi bien à la domination qu’à l’anarchie dans le sens du désordre – anarchie positive qui tient ensemble les contraires, non dans leur effacement ou leur dilution, mais dans le dynamisme propre à la vie elle-même ; dynamisme qui signale la conscience éclairée : « pour voir, il faut se tourner à la fois vers la lumière et vers l’ombre, voir le noir et blanc simultanément. »

Faute de quoi l’on retombe et l’on retombera dans  « l’homogénéisation totalitaire », qui rend la vue grise, quelle que soit la profusion des couleurs de nos écrans.

Il s’agit d’œuvrer à cette “dialectique de l’équilibre” qui faisait dire à Proudhon que « la plus haute perfection de la société se trouve dans l’union de l’ordre et de l’anarchie. »

Le dynamisme de la vie, Alain Santacreu s’en approche en convoquant la notion complexe de « tiers inclus » (héritée de Stéphane Lupasco), dont on se contentera ici de souligner qu’elle ruine l’absoluité du principe de non-contradiction, invitant à sortir de la binarité, en assumant la tension créatrice qui non seulement permet les dépassements, mais vit de sa vie propre.

L’auteur développe de là une pensée de l’interstice, de « l’intervalle » par où «  il est possible de s’extraire du rêve imposé par la “Société du spectacle” » (un camarade nous a fait remarquer qu’on trouve aussi cette notion d’intervalle, et de manière persistante, dans la culture japonaise ancienne. Le Ma, l’espace entre les choses mais qui est dans le même temps ce qui les relie et où se concentre l’essentiel de la tension. S’y rajoute également la notion de seuil, ce par quoi l’on accède).

A cette idée d’intervalle s’adjoint celle de talvera :  les dictionnaires en donnent une signification négative : « espace qu’on ne peut labourer ». « Pourtant, poursuit l’auteur,  il existe en occitan le verbe talverar qui signifie « travailler les bords d’un champs ». En effet, si la lisière du champ peut être laissée en friche pour servir de chemin entre les parcelles cultivées, il est possible de la travailler d’une autre manière que le champ.
C’est ainsi, qu’aux sillons labourés dans la longueur peuvent s’en substituer d’autres, tracés dans la largeur par le piochage, le bêchage et le sarclage de la terre. On y produit alors des cultures “mineures” : choux, betteraves, pommes de terre, etc. »
Et de poursuivre : « l’oubli de la talvera – non seulement du concept mais du mot qui le désigne – doit être mis en perspective avec toutes les dominations élitistes qui privilégient le centre aux dépens de la périphérie. Le concept de talvera prouve la nécessaire hétérogénéité de l’espace social. Il rompt l’uniformisation imposée par la réduction centralisatrice d’un modèle unique. »

Nous voici donc à la lisière d’un autre monde, intervalle d’où se conçoit, renaît et s’expérimente, pour reprendre les mots de  Gustav Landauer, « la communauté primordiale et universelle : la communauté avec le genre humain et avec l’univers. »

Aussi prisonniers que nous nous trouvions du « camp globalisé », « réalisation finale de l’espace capitalistique, l’espace d’exception analysé par Agamben », « zone d’indistinction indéfinie de la marchandise », l’auteur peut donc  relever que pourtant  « chacun d’entre nous occupe un point de l’espace-camp d’où il lui appartient de s’élever pour renaître à l’humain. »

En quête d’une gnose anarchiste

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