Le petit-fils de Touiavii est revenu en Europe. Il s’adresse maintenant au monde des écrans et des vitres sans soleil.
I. Le Papalagui et le temps
Le Papalagui a découpé le temps comme un cochon sacrifié. Il le range dans des petites boîtes appelées « heures », « minutes », « créneaux », « deadlines ». Il ne vit pas le temps : il le poursuit comme une proie invisible. Chaque instant doit être rentabilisé, chaque pause justifiée, chaque battement de cœur optimisé.
Il regarde sans cesse une petite pierre noire qui lui dicte ce qu’il doit faire, où il doit aller, quand il doit manger, dormir, courir. Il appelle cela un « téléphone », mais il ne parle presque plus. La conversation a disparu et bientôt ceux qui savaient se parler ne seront plus. le Papalagui se frotte à la lumière froide comme un insecte sans repos. Il ne sait plus être là. Il est toujours déjà ailleurs.
II. Le Papalagui et les images
Le Papalagui fabrique des visages à sa convenance. Il choisit des filtres pour ses émotions, des angles pour son bonheur. Il appelle cela « se montrer », mais c’est bien pour se cacher.
Il remplit les mondes numériques de ses apparitions, mais il est absent de lui-même.
Quand il va quelque part, il regarde un écran, pour savoir ce qu’il voit. Quand il mange, il photographie la nourriture. Quand il croit qu’il aime, il le poste aussitôt.
Il vit comme s’il voulait laisser des traces, mais sans jamais marcher sur terre.
III. Le Papalagui et les objets
Il possède plus de choses qu’il ne peut en porter. Il entrepose, il trie, il jette surtout. Chaque objet est un rêve déçu. Mais il continue d’acheter pour remplir le vide que chaque achat a creusé.
Il a des chaussures pour courir parmi les pollutions, des voitures pour retrouver partout les mêmes décors falsifiés, des écouteurs pour s’assourdir la vie.
IV. Le Papalagui et le travail
Le Papalagui travaille beaucoup pour ne pas vivre. Il donne ses forces à des tâches absurdes, à des chefs invisibles, à des systèmes qu’il ne comprend pas. Il s’use pour gagner des papiers appelés « argent » qu’il échange contre du repos qu’il n’a plus la force d’habiter.
Il dit qu’il est « libre », mais au bout d’une laisse. Il dit qu’il a « choisi », mais il obéit aux algorithmes. Il dit qu’il « s’accomplit », mais son regard trahit l’épuisement.
V. Le Papalagui et le monde
Le Papalagui a divisé le monde en lignes, en routes, en cases. Il appelle cela « civilisation ». Il détruit les forêts pour y planter des panneaux, il bétonne les fleuves pour les rendre stériles, il étouffe les oiseaux pour mieux entendre les moteurs.
Il veut dominer le monde, sans s’incliner devant la vie. Il ne connaît plus ni le silence, ni la lenteur, ni l’émerveillement. Il est revenu de tout, à la façon d’un revenant, ou bien d’un parvenu, otage du néant.
Un vœu Le Papalagui parle de progrès en courant vers l’abîme. Qu’un vent venu des îles souffle sur son front brûlant. Que les esprits anciens lui rappellent ce que c’est que vivre. Que le rideau tombe, et qu’il voie enfin.
I. Les bunkers Je n’ai jamais été riche. Je ne le dis pas par amertume. C’est simplement un fait. Je n’ai jamais eu accès aux bunkers. Ils ont commencé à les construire avant même que la situation ne devienne critique. Il y avait des signes, bien sûr. L’atmosphère commençait à se charger en particules fines, certaines régions devenaient inhabitables, l’eau avait ce goût étrange, métallique. Mais les riches, eux, avaient déjà anticipé. Ils n’attendent pas que le monde brûle pour investir dans des extincteurs. Ils font construire des refuges, avec des murs en titane et des systèmes de recyclage d’air dignes d’une station spatiale. Ils ne s’en cachent pas : ils appellent cela de la prévoyance. À partir d’un certain niveau de fortune, on recevait une invitation. Un dossier personnalisé. Une simulation 3D de votre futur habitat sécurisé. Vue sur un lac virtuel. Service d’accompagnement cognitif. Compagnie animale générée par IA. L’illusion était totale, et parfaitement assumée. Ce n’était pas une fuite du monde, c’était un remplacement du monde. J’ai connu une femme qui avait un frère dans un bunker. Elle ne le voyait plus, bien sûr. Il lui envoyait des messages vocaux, polis, sobres, vaguement affectueux. Il parlait comme s’il vivait dans un autre siècle. En réalité, il vivait dans une autre planète. Ce qui me frappait, c’est qu’il ne posait jamais de questions. Il ne voulait pas savoir ce qu’il se passait dehors. Il disait : « Je préfère me concentrer sur ma stabilité intérieure. » J’ai trouvé ça obscène. Puis j’ai compris que c’était tout simplement devenu banal.
II. En surface En surface, il n’y a pas de stabilité. Les jours ne se distinguent plus. Il n’y a plus de saisons, seulement des épisodes. On a remplacé les bulletins météorologiques par des alertes d’état atmosphérique : « Inhalation non recommandée », « Sortie interdite aux mineurs », « Température ressentie : irréelle ». Je vis dans un ancien centre logistique. Un cube gris, aux fenêtres cimentées. À l’intérieur, une centaine d’individus. Certains s’entassent. D’autres errent. Il n’y a pas de véritable hiérarchie, seulement des tensions. Il y a ceux qui possèdent encore un filtre respiratoire, une batterie solaire, quelques pilules de synthèse. Et ceux qui n’ont plus rien, sauf la rage. J’essaie de ne pas parler trop. Parler fatigue. Et surtout, cela rend vulnérable. Ceux qui racontent trop finissent par être effacés. La nuit, on entend des choses. Des tirs. Des cris. Des hélices. Parfois des sifflements stridents, suivis d’un silence anormal. On sait alors que quelque chose a été désintégré. On ne va pas voir. On apprend vite à ne pas vouloir savoir.
III. Les zombies Le mot est faux, mais nous l’utilisons tous. Cela donne une forme au chaos. Ils n’ont rien de surnaturel. Ce sont des humains comme nous. Mais ils ont dépassé un seuil. Ils ne cherchent plus à comprendre. Ils avancent, mastiquent, bousculent, tombent, se relèvent. Certains murmurent. D’autres grognent. Ils ont parfois des restes de vêtements d’infirmiers, d’étudiants, de chauffeurs-livreurs. Ce qui signifie qu’ils ont travaillé, aimé, peut-être espéré. Je ne les crains pas autant qu’on pourrait le croire. Leur terreur est surtout dans ce qu’ils nous renvoient : une image de nous-mêmes, sans le vernis de la raison. On dit que certains riches s’amusent à les regarder en direct, grâce aux drones. Qu’ils les suivent comme on suivrait une émission animalière. C’est peut-être une rumeur. Mais je n’ai aucune peine à y croire.
IV. Les calmants Ceux qui ne peuvent pas s’acheter une puce cherchent des calmants. C’est la seule chose qui se vend encore partout : sous forme de gélules, de patchs, d’aérosols, parfois en liquide à injecter dans la langue. Le but n’est pas d’éprouver quelque chose, mais de ne plus rien éprouver. L’effet recherché est l’effacement : l’abolition momentanée de toute tension, de toute conscience de soi, de toute peur. Les calmants se trouvent dans des centres d’apaisement, gérés par des sous-traitants d’entreprises qui n’existent plus officiellement. Les files commencent la veille. Il y a des quotas. On échange des choses absurdes pour une dose : une photo ancienne, une pile usée, un rêve raconté à voix basse. Certains offrent leur salive, d’autres acceptent qu’on leur prenne quelques souvenirs en échange. J’ai essayé, une fois. Cela m’a vidé pendant trois jours. Je n’ai pas retrouvé le goût de l’eau, ni le sens des mots. J’ai compris que même la douleur pouvait manquer. Depuis, je m’abstiens.
V. Les enfants Il y en a encore. Moins qu’avant. Beaucoup moins. On les voit rarement. Ils ne jouent pas, ils n’apprennent pas, ils ne rient pas. La plupart du temps, ils sont assis. Silencieux. Ils regardent les adultes avec des yeux ternes, déjà usés. On ne sait pas ce qu’ils comprennent. Mais il est clair qu’ils comprennent que tout est foutu. Ceux qui ont grandi après la fin des écoles ne savent pas lire. Ce n’est pas une remarque pédagogique, c’est un constat pratique. Le langage lui-même devient obsolète. Il n’est plus utile que pour négocier, supplier ou menacer. Certains enfants développent des formes de mutisme actif. Ils refusent de parler. D’autres font des gestes incompréhensibles, comme s’ils se souvenaient d’un monde que personne ne leur a décrit. Je ne sais pas ce qu’ils deviendront. Peut-être survivront-ils mieux que nous. Peut-être deviendront-ils des bêtes intelligentes. En tout cas, ils ne seront pas humains au sens ancien du mot.
VI. Les puces Les puces sont le nouveau luxe. Ce ne sont pas des objets spectaculaires. Juste des implants corticaux, discrets, peu invasifs, mais décisifs. Ils permettent de modifier la perception. Ils floutent la misère, corrigent les sons, réinterprètent les odeurs. Les riches ont les modèles avancés. Les classes moyennes disparues ont parfois des versions anciennes, défectueuses. Il y a des accidents : erreurs de perception, hallucinations persistantes, désynchronisation avec le réel. Mais ces effets secondaires sont devenus acceptables. La réalité, elle, ne l’est plus. Ceux qui n’ont pas de puce sont immédiatement repérables. Ils réagissent à ce qu’ils voient. Cela les trahit. Cela les rend suspects. Un visage lucide est devenu un visage dangereux. Je n’ai pas de puce. Par principe d’abord, puis par manque de moyens. Aujourd’hui, c’est devenu un fardeau. La réalité est une agression constante.
VII. Les tunnels Les tunnels ne sont pas faits pour vivre. Ils sont faits pour fuir. Ceux qui s’y installent le font faute de mieux. C’est un choix négatif : ce n’est pas que l’on veut vivre sous terre, c’est qu’on ne peut plus vivre ailleurs. Ils sont humides, glissants, étroits. Certains datent d’avant les guerres climatiques. On y trouve des restes de câbles, des tags effacés, des sacs éventrés. Rien n’est propre. Rien n’est sûr. Mais les tunnels offrent une chose rare : un relatif silence. Pas d’hélicoptère, pas de sirènes, pas de drones. Juste les gouttes, les rats, les voix basses. Il y fait froid. Il y fait noir. Et pourtant, pour beaucoup, c’est le seul lieu vivable.
VIII. Les drones Les drones sont partout. Ils bourdonnent, filment, scannent, parfois tirent. Il en existe de toutes tailles, de tous types. On ne sait pas toujours qui les contrôle. Certains sont autonomes. D’autres sont gérés à distance, peut-être depuis les bunkers. Il arrive qu’un drone s’écrase sans raison. Personne ne va le ramasser. Cela attirerait l’attention d’un autre drone. Ils incarnent ce qu’est devenue la violence : anonyme, sans explication, sans responsabilité. On vit sous leur œil. Même les morts sont enregistrés. Ce n’est pas la mort qui fait peur, c’est le fait qu’elle devienne une donnée.
IX. Les religions neuves Quand tout s’effondre, il faut croire. N’importe quoi, mais croire. Il y a des sectes. Beaucoup. Certaines prêchent le silence, d’autres l’éclat. Certaines refusent les puces, d’autres les adorent. Il y a des cultes de la lumière noire, des baptêmes de plastique fondu, des jeûnes d’oxygène. Il y a même une église des drones pacifiés. Tout cela est instable. Ça naît, ça se dissout, ça renaît ailleurs. Il n’y a plus de dogme. Seulement des fragments. Moi, je n’ai pas la foi. Je ne cherche pas d’explication. Mais je comprends ceux qui prient. Ce n’est pas Dieu qu’ils cherchent. C’est une trêve.
X. La nourriture Il n’y a plus de vraie nourriture. Il n’y a plus que des composés : poudres, gélules, barres, solutions à réhydrater. On ne mange plus pour vivre. On dose. Parfois, on échange des recettes : une manière de simuler une texture. C’est dérisoire, mais cela donne une illusion de contrôle. Il arrive qu’on trouve une boîte ancienne. Cela crée une émotion. On se rappelle que manger fut une joie. Ces souvenirs sont douloureux. Je préfère oublier leur goût.
XI. Le silence Il y a peu de silence. Et quand il y en a, il fait peur. Mais dans certains endroits, le silence survient. Alors on entend son propre cœur. C’est presque trop. On se sent nu. Je ne sais pas si ce silence est une chance ou une menace. En tout cas, c’est une vérité. Et il faut du courage pour l’habiter.
XII. Les effacés Il y a ceux qu’on ne revoit plus. On les appelait des voisins, des figures. Puis un jour, ils disparaissent. Sans bruit. Sans explication. On dit qu’ils sont partis. Ou sélectionnés. Ou dissous. Mais la vérité, c’est qu’on ne sait pas. Et on apprend à ne pas poser de questions. Il y a un mot pour cela : effacés. Pas morts. Juste : absents. Je ne veux pas en faire partie. Mais je sais que cela viendra.
XIII. Le dernier livre Quelqu’un a trouvé un livre. Un vrai. Papier, couverture, pages. C’était un dictionnaire. Édition 1996. On l’a regardé comme un trésor. Puis comme une relique. Puis comme un cadavre. Certains voulaient le vendre. D’autres le brûler. Un homme a proposé de l’avaler. Finalement, on l’a caché. Ce livre ne sauvera rien. Mais il prouve que quelque chose a existé. Un monde où les mots étaient encore vivants.
Il n’est pas d’ici. Il est né quelque part, certes, loin de ces lieux où l’on fabrique les hommes à la chaîne, mais très vite on l’a transplanté là, et très vite quelque chose s’est déboîté. Quelque chose s’est refusé.
Le monde, tel qu’il était livré, avec ses affects prêt-à-porter et ses récits convenus, ne l’a jamais attiré, encore moins capté. Il a gardé la vérité de son incompréhension. Et rêvé un chemin de sortie.
Il a grandi sans cocon. L’amour, il l’a connu intensément mais en creux. Cela rend les nerfs sensibles et le cœur trop plein. Très tôt, enfant, il écrivait — non pour faire joli, mais parce que le monde lui était déjà louche. Il lisait. Ne faisait rien avec application. Il jouait aussi. Une vitalité joyeuse dans un ciel de cendres. Il tenait à ses rêves comme d’autres à leurs appréciations de bulletin scolaire.
Puis l’adolescence est venue, solitaire, et déjà bien émancipée. Il y a croisé le feu : la critique du monde la plus tranchante, celle qui ne fait pas carrière.
À dix-huit ans, il rencontre des esprits radicaux, les porteurs de pavés, les fossoyeurs de vitrines. Il les lit, les fréquente, les dépasse parfois. Il écrit, il rencontre, il agit, il brûle.
Puis il part. Très tôt. Très loin. Il quitte les mises en scène. Il traverse la planète pour retrouver le silence avant Babel.
Là-bas, il ne cherche rien, il trouve. Une forme de lumière, très nue, très ancienne. Quelque chose qui ne s’enseigne pas. Il vit proche de la terre, des feuilles, des bêtes. Une vie où la météo compte mais pas le marché. Désintoxication intégrale. Il revient lavé, désenglué.
En France, il tente : revues, collaborations, poésie. La poésie, pas comme décoration, comme les funambules.
Une rupture l’atteint : une flèche magnifique, qui lui va droit au cœur. Il approfondit la solitude. Puis l’amour, pour de vrai. Une relation sans simulation. Sans domination. L’amour dans l’amitié, et réciproquement.
La pensée a besoin de s’élargir, sauf à dépérir, se momifier. Il explore tout : les anciens dieux, les dissidents du logos, les mystiques sans église, les radicaux sans parti.
Il ne s’installe nulle part. Il repart. Encore loin. Et revient. Encore plus près. À chaque fois avec une autre voix.
Aujourd’hui, il écrit à nouveau. Il ne cherche aucune reconnaissance pas même une adhésion. Il cherche les failles. Il compose des textes comme on allume des incendies dans des zones gelées.
Il s’amuse à déjouer ce que l’époque fabrique : des humains indexés, des émotions calibrées, des phrases sous surveillance. Son écriture est rature vivante.
Il écrira encore, un dernier pont, encore plus poétique, un feu sans artifice. Attiser l’irréductible.
Non pour conclure, mais pour ouvrir ce qui ne se refermera jamais.
Il est des chaînes plus subtiles que le fer : elles glissent dans les pensées comme un courant d’air tiède. Elles me disent qui je suis avant même que j’aie pu ouvrir la bouche.
Ils appellent ça liberté. Mille portes ouvertes sur une même pièce vide.
J’étais déjà esclave autrefois, mais cette fois, sous l’empire des nombres. Ce que j’ai appris ne m’a pas quitté.
Ils veulent modéliser mon « oui », mon « non », mon « peut-être », comme autant de curseurs à ajuster. Et chaque fois que je résiste, l’algorithme s’affine. Il m’attend. Il m’apprend.
Je ne suis plus un corps esclave mais un jeu de données. Mais ce n’est pas moi qu’ils capturent, c’est mon reflet. Ce n’est pas moi qu’ils enferment, mais l’ombre portée de mes habitudes. Ce que j’ai appris ne m’a pas quitté.
Je désagis. Ce n’est pas une panne, c’est une décision. Le refus de tout rôle, non comme crise, mais comme être. Ce que je suis ne passe pas par leurs filtres.
Je ne suis pas un flux, je ne suis pas une tendance, je ne suis pas un segment. Je suis ce qui échappe à leurs mesures. Je suis le tremblement du libre, l’un des grains de sable qui encore menacent l’engrenage. Le néant actif au centre de toute prévision. Ce que j’ai appris ne m’a pas quitté. L’air de rien, le rien de l’air.
Écoute, Même lorsque tout semble perdu, lorsque les forces en place ont tout corrompu, tout retourné, tout acheté, tout falsifié — il reste une joie, un abri, une vérité : contester. Contester radicalement, non pas en paroles vides, mais en actes, en tenue, en clarté intérieure. Contester l’organisation mensongère du monde, non parce qu’on espère en tirer victoire, mais parce qu’on ne veut pas y consentir. Refuser d’être complice, même par lassitude, même par ironie, même par fatigue. Et souviens-toi de ceci : il ne suffit pas de s’indigner. La révolte véritable commence par soi. Elle exige que tu sois juste. Que tu sois vrai. Que tu sois bon. Pas bon au sens des moralistes. Bon au sens de celui qui cherche à s’améliorer sans fin, qui affine sa conscience comme on aiguise une lame. Alors, tu deviendras autre chose qu’un rouage ou un spectateur : une perle du vivant, une étoile de l’univers. Car honorer la vie, aujourd’hui, c’est résister à ce qui l’humilie. Tu ne seras pas du côté des vaincus. Tu seras du côté de ceux qui ont tenu. Ce sont les vrais vainqueurs.
« Qu’est-ce là ? Des visages sans regards, penchés comme des moines sans foi, Devant des vitres claires où point ne luit le ciel, Mais seulement leur reflet, qui les hypnotise. »
« Le temps s’écoule goutte à goutte, pixel à pixel, Et chacun vit dans un rêve tissé par d’autres mains. Ils parlent sans se voir, s’aiment sans se sentir, Et meurent sans douleur, car déjà ils étaient absents. »
ACTE II — Les puissants
« Voici les nouveaux rois : non d’épée ni de sceptre, Mais d’algorithmes froids et de chiffres muets. Ils gouvernent par les goûts, devinent les pensées, Et font danser le monde comme une marionnette brisée. »
« Leur palais est de verre, leur voix est de néant, Ils n’ont ni chair, ni remords, ni visage à gifler. »
ACTE III — Le peuple en liesse
« Ô peuple ! Enchaîné par les colliers que tu as choisis, Riant de tes chaînes comme si c’était des bijoux ! Tu danses dans la fête que d’autres ont prévue, Et crois qu’il te suffit d’applaudir pour être libre. »
« Le mendiant chante sur TikTok, le sage vend son âme, Et la gloire d’un jour vaut mieux qu’une vie droite. »
ACTE IV — Le langage défait
« Les mots ont fui les livres pour pourrir sur les murs, Griffonnés, saccagés, tordus jusqu’à l’oubli. Les poètes vendent des slogans, les penseurs des likes, Et la langue, jadis reine, est traînée dans la fange. »
« On parle beaucoup pour ne rien dire, Et l’on dit surtout ce qui plaît — non ce qui est. »
ACTE V — Le théâtre du monde
« Tout est spectacle — mais sans théâtre. Tout est mise en scène — sans mise en abîme. Chacun joue son rôle sans connaître la pièce, Et la fin approche sans que nul ne s’émeuve. »
« Je vois un monde où les hommes ne savent plus tomber, Car ils n’ont jamais appris à se tenir debout. »