L’intégration mondiale de toutes les formes de société du spectacle n’est pas un processus harmonieux, mais au contraire une guerre acharnée pour la prééminence, qui doit sceller définitivement le genre de despotisme qui soumettra les peuples. Du côté du pouvoir russe et chinois, le projet consiste à diffuser, derrière la vitrine anti-occidentale et par tous les moyens, géopolitiques, militaires, économiques, un spectaculaire intégré à dominante concentrée, tandis que le pouvoir occidental vise, par les mêmes moyens, mais derrière sa vitrine libérale, à concentrer un spectaculaire intégré à dominante diffuse.
« N’est sous-développé que celui qui accepte l’image du développement de ses maîtres. »
Conditions du mouvement révolutionnaire congolais, juillet 1966.
« Le projet révolutionnaire (…) est le projet d’un dépérissement de la mesure sociale du temps, au profit d’un modèle ludique de temps irréversible des individus et des groupes, modèle dans lequel sont simultanément présents des temps indépendants fédérés. »
La société du spectacle, thèse 163, 1967.
« Dans un combat de rue, il faut encore penser ! »
Remarques sur l’I.S. aujourd’hui, 1970.
« Il n’y a pas de progrès cumulatif garanti dans la conscience, les connaissances, les œuvres, d’un révolutionnaire – on peut dire aussi : d’un homme, d’une femme. Il y a des embranchements de la vie où il faut tout de suite choisir telle voie, des sauts qualitatifs, des occasions manquées et des retombées. Il ne faut pas craindre les erreurs – qui sont forcément, un jour ou l’autre, inévitables – mais la mauvaise manière de les reconnaître. »
Lettre à Jean-Marc Loiseau, octobre 1971.
« Ma conception, qui est historique et stratégique, ne peut considérer que la vie devrait être, pour cette seule raison que cela nous serait agréable, une idylle sans peine et sans mal ; ni donc que la malfaisance de quelques possédants et chefs crée seule le malheur du plus grand nombre. Chacun est le fils de ses œuvres, et comme la passivité fait son lit, elle se couche. »
Préface à la quatrième édition italienne de La Société du Spectacle, 1979.
« Je n’ai jamais rien deviné, ni n’ai trouvé une réponse univoque par une simple application de la théorie. Je me suis chaque fois servi des failles et des impossibilités patentes dans les explications qu’ont avancées des responsables chez l’ennemi. »
Lettre à Paolo Salvadori, 1984.
« Il faut envisager le pire et combattre pour le meilleur. »
Notes à Mezioud Ouldamer, 1985.
« Qui regarde toujours, pour savoir la suite, n’agira jamais : et tel doit bien être le spectateur. »
Commentaires sur la société du spectacle, 1988.
« Chaque fois, et c’est très fréquent, qu’un mot, ou qu’une phrase, a deux sens possibles, il faudra reconnaître et maintenir les deux ; car la phrase doit être comprise comme entièrement véridique aux deux sens. Cela signifie également, pour l’ensemble du discours : la totalité des sens possibles est sa seule vérité. »
Note sur la traduction de Panégyrique, 1989.
« Dans la vie, si j’avais “gagné vite” où que ce soit, j’aurais immédiatement su que c’était, du fait même, un dangereux signal d’alarme. Je m’en suis facilement tenu à distance, toujours. »
Notes sur le poker, 29 octobre 1990.
« Je dois préciser que je n’oppose d’aucune façon l’émerveillement à la lucidité. En fait, je crois que j’ai passé presque tout mon temps à m’émerveiller. J’ai peu écrit là-dessus, voilà tout. Ce sont les nécessités de la lutte contre ce qui, toujours plus pesamment, venait faire obstacle à mes goûts, qui m’auront conduit, malheureusement, à devenir une sorte d’expert dans cette sorte de guerre. […] Il fallait seulement savoir aimer. »
Lettre à Annie Le Brun, 11 mai 1991.
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Trois citations complémentaires de l’Internationale situationniste.
« Le qualitatif agit dès à présent comme un exposant qui multiplie la quantité des informations dont nous disposons ».
Internationale situationniste n°7, avril 1962.
« Sans le mode d’emploi de l’intelligence, on n’a que par fragments caricaturaux les idées novatrices, celles qui peuvent comprendre la totalité de notre époque dans le même mouvement qu’elles la contestent. »
Internationale situationniste n° 9, août 1964.
« Il suffit d’entreprendre le décryptage des informations, telles qu’elles se rencontrent à tout moment dans la presse la plus haccessible, pour obtenir une radiographie quotidienne de la réalité situationniste. Les moyens de ce décryptage tiennent essentiellement dans la relation à établir entre les faits et la cohérence de quelques thèmes qui les éclairent totalement. Le sens de ce décryptage se vérifie a contrario par la mise en évidence de l’incohérence des divers penseurs qui sont actuellement d’autant mieux pris au sérieux qu’ils se contredisent plus misérablement, d’un détail à l’autre du truquage généralisé. »
Brief tactical, strategic and existential considerations by Guy Debord, presented in chronological order.
“I’ve never been on anything but playing.”
Letter to Gilles J. Wolman, 1953.
« No doctrine ever: perspectives ».
Letter to Patrick Straram, November 12, 1958.
« Only he who accepts the image of the development of his masters is underdeveloped. »
Conditions of the Congolese revolutionary movement, July 1966.
« The revolutionary project (…) is the project of a withering away of the social measure of time, to the profit of a playful model of irreversible time of the individuals and the groups, model in which are simultaneously present independent federated times.
The Society of the Spectacle, thesis 163, 1967.
« In a street fight, you still have to think! »
Remarks on SI Today, 1970.
« There is no guaranteed cumulative progress in the consciousness, the knowledge, the works, of a revolutionary – we can also say: of a man, of a woman. There are forks in the road of life where one must immediately choose a certain path, qualitative leaps, missed opportunities and repercussions. One should not fear mistakes – which are inevitably, one day or another, unavoidable – but the wrong way to recognize them. »
Letter to Jean-Marc Loiseau, October 1971.
« My conception, which is historical and strategic, cannot consider that life should be, for this only reason that it would be pleasant for us, an idyll without pain and without evil; nor therefore that the malfeasance of a few possessors and leaders alone creates the misfortune of the greatest number. Each one is the son of his works, and as passivity makes its bed, it lies down. »
Preface to the fourth Italian edition of The Society of the Spectacle, 1979.
« I have never guessed anything, nor have I found a univocal answer by a simple application of the theory. I have always used the flaws and obvious impossibilities in the explanations put forward by the enemy’s leaders. »
Letter to Paolo Salvadori, 1984.
« We must consider the worst and fight for the best. »
Notes to Mezioud Ouldamer, 1985.
« Who always looks, to know the continuation, will never act: and such must be the spectator.
Comments on the society of the spectacle, 1988.
« Every time, and this is very frequent, that a word or a sentence has two possible meanings, it will be necessary to recognize and maintain both; for the sentence must be understood as entirely true in both meanings. This also means, for the whole of the discourse: the totality of the possible meanings is its only truth. »
Note on the translation of Panegyric, 1989.
« In life, if I had ‘won quickly’ anywhere, I would have known immediately that it was, by the very fact, a dangerous red flag. I easily stayed away from it, always. »
Notes on Poker, October 29, 1990.
« I should make it clear that I am not in any way opposing wonder to lucidity. In fact, I think I’ve spent most of my time marveling. I haven’t written much about it, that’s all. It is the necessities of the struggle against what, ever more heavily, came to hinder my tastes, that will have led me, unfortunately, to become a kind of expert in this kind of war. […] It was only necessary to know how to love.
Letter to Annie Le Brun, May 11, 1991.
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Three complementary quotes from the Situationist International.
« The qualitative acts from now on as an exponent that multiplies the quantity of information we have.
Situationist International n°7, April 1962.
« Without the instructions for use of intelligence, one has only in caricatured fragments the innovative ideas, those that can understand the totality of our epoch in the same movement that they contest it.
Situationist International No. 9, August 1964.
« It is enough to undertake the decoding of information, such as it is encountered at any moment in the most accessible press, to obtain a daily x-ray of situationist reality. The means of this deciphering lie essentially in the relation to be established between the facts and the coherence of a few themes that totally illuminate them. The meaning of this deciphering is verified a contrario by highlighting the incoherence of the various thinkers who are currently taken all the more seriously because they contradict each other more miserably, from one detail to another of the generalized rigging. »
Il est certes vrai que cette société espère bien 𝘯𝘰𝘶𝘴 𝘮𝘰𝘶𝘪𝘭𝘭𝘦𝘳 dans ses pratiques, et nous persuader qu’on est tous 𝘥𝘢𝘯𝘴 𝘭𝘦 𝘮ê𝘮𝘦 𝘣𝘢𝘪𝘯, c’est-à-dire dans la même merde. Peut-être, mais être dans la merde n’implique pas d’être de la merde.
C’est justement parce qu’une part (quantitative et qualitative) de l’humanité ne se réduit encore et toujours pas à ce qui l’aliène – 𝘦𝘵 𝘲𝘶’𝘦𝘭𝘭𝘦 𝘭𝘦 𝘴𝘢𝘪𝘵 -, que cette société de merde a encore et toujours du souci à se faire. Et c’est bien sûr depuis cette part d’humanité 𝘪𝘯𝘷𝘢𝘪𝘯𝘤𝘶𝘦, que nous pouvons encore et toujours ne pas nous identifier ou nous réduire à cette merde – et cesser de la reproduire.
Certes, nul ne peut raisonnablement se dire exempt, indemne ou pur de toute influence d’une société si solidement établie que c’est en chacun qu’elle a dressé ses fondements. Il appartient à chacune et chacun de les identifier précisément pour tantôt les combattre, tantôt les fuir et surtout les laisser dépérir. Dans tous les cas, de ne pas se croire contraint de s’y identifier, quand il s’agit justement de s’en désidentifier, pour reprendre contact avec soi-même.
Anni Roenkae
New basic banalities.
It is certainly true that this company hopes to get us wet in its practices, and to persuade us that we are all in the same bath, that is to say in the same shit. Perhaps, but being in the shit does not imply being shit.
It is precisely because a part (quantitative and qualitative) of humanity is still not reduced to what alienates it – and that it knows it -, that this shitty society still has to worry. And it is, of course, from this unconquered part of humanity, that we can still and always not identify or reduce ourselves to this shit – and stop reproducing it.
Certainly, no one can reasonably claim to be free, unharmed, or pure from the influence of a society so firmly established that it is within each person that it has laid its foundations. It is up to each and everyone to identify them precisely in order to fight them, to flee them and especially to let them wither away. In any case, not to feel compelled to identify with them, when it is precisely a question of disidentifying oneself from them, in order to get back in touch with oneself.