Esquisses théoriques et pratiques pour un détournement radical de la création cinématographique.

« Les arts futurs seront des bouleversements de situations, ou rien.« 
Debord, Prolégomènes à tout cinéma futur.

La production cinématographique est aujourd’hui pour la grande majorité une production artistique séparée.

Que faut-il entendre par là ? Que le la majorité de la production cinématographique aujourd’hui soutient les rapports spectaculaires de la société, les médiatise. Tout ce qui pourrait directement se vivre est éloigné dans une représentation et se vit dans celle-ci. Les rapports sociaux sont corrompus. La majorité de la production cinématographique actuelle entretient les rapports sociaux spectaculaires en fournissant des manières d’interagir, une représentation corrompue du réel qui sera prise pour argent comptant. Peu importe que de vieilles idées soient renversées par de nouvelles si ces nouvelles entretiennent la même séparation. Les différents points de vues médiatiques qui se font la lutte n’ont comme but que celui de s’emparer des rapports sociaux pour enrichir leur fond commun : le spectacle.

Pourquoi s’attaquer au cinéma et non pas à la littérature ? Parce que le cinéma en tant qu’art presque total ( de part le fait qu’il peut utiliser les autres arts ) possède une force de persuasion bien supérieure à d’autres arts. De plus, il est sans conteste (avec la musique) l’art le plus populaire de nos jours, dans les sociétés occidentales.

Les termes et les raisons d’être de ce texte ayant étés précisés, il est temps d’exposer notre point de vue.
La production cinématographique entretenant les rapports spectaculaires et la séparation, il faut lui opposer une nouvelle théorie, un nouveau guide, de nouveaux panneaux d’indication pour créer un cinéma réellement poétique. Il ne s’agit pas de créer un dogme ou un cadre figé. Ceux-ci meurent quand leurs auteurs les abandonnent, Lars Von Trier en sait quelque chose. Il ne s’agit pas non plus de créer une doctrine à l’instar du réalisme socialiste car celles-ci deviennent tyranniques et meurent avec les idées. Il s’agit de continuer le mouvement du réel, de le réveiller là où il sommeille. Ce n’est pas un mouvement organisé mais l’expression des forces vitales de chacun et du tout, de tous. S’il fallait résumer ce mouvement en une phrase nous dirions: le cinéma doit s’atteler à retrouver, à découvrir la poésie qui subsiste dans le réel pour l’opposer implicitement à la séparation spectaculaire.

Chaque partie de cette phrase est importante. « Le cinéma doit s’atteler », c’est en effet son rôle historique, en pied de nez à la société spectaculaire, pour lui faire face.
« À retrouver, à découvrir la poésie qui subsiste dans le réel » Comme l’énonce une célèbre chanson nous vivons dans un monde désenchanté. Nous semblons relativement libres mais cette liberté n’a ni fondements, ni buts. La poésie s’essouffle face aux assauts de l’industrie, des conséquences de la séparation. Même les meilleures productions artistiques nous vendent une poésie séparée qui entretient les rapports spectaculaires. Néanmoins, nous croyons qu’en tant qu’humains nous sommes toujours capables d’être spirituels, d’être poétiques. Ilsubsiste, survit une poésie, postmoderne peut être, mais une poésie malgré tout.

« Pour l’opposer implicitement à la séparation spectaculaire » Il ne s’agit pas ici de s’attaquer de front à la société spectaculaire. Cela serait verser dans le militantisme idéologique. Il s’agit de s’opposer à la société spectaculaire, de proposer une alternative en la refusant, en la niant. Montrer qu’une autre relation à la poésie, un autre usage de l’art existe, unifié au réel. Il s’agit de dé-spectaculariser le cinéma, lui enlever l’emprise passive qu’il a sur le réel, tout comme il faut dé-politiser le réel pour sortir de cette emprise totalitaire qu’a aujourd’hui la réflexion politique vide sur nos vies. C’est un autre débat mais intimement lié. Dépolitiser le réel est le seul acte politique valable tout comme dé- spectaculariser l’art est le seul moyen de s’opposer à l’art séparé, l’art de la séparation.

Rappelons juste que ces considérations théoriques et pratiques ne visent pas à un être un diktat, à désigner une fois pour toute la manière « correcte » de faire du cinéma. Ces considérations visent à proposer une manière de penser et de faire un cinéma plus proche de la poésie du réel mais cela n’englobe pas tout le cinéma possible et imaginable.

Ces premières considérations théoriques ayant été posées, passons maintenant à l’explicationpratique, à la manière d’être de ce mouvement.

Il ne s’agit pas de fixer dans le marbre des règles à appliquer à chaque création cinématographique. Chacun doit pouvoir trouver sa voie, sa façon de réaliser. Il s’agit de transmettre des pistes et un état d’esprit via des possibilités, des exemples, qui pourront être repris, délaissés, améliorés. L’important est de saisir cet état d’esprit :

  • Le scénario pourrait être réduit à quelques lignes directrices que les acteurs devront étoffer grâce à l’improvisation qui les pousserait à se comporter réellement. On peut penser au film Out 1 de Jacques Rivette où les acteurs n’avaient que des lignes directrices lors du tournage, ce qui a donné un des films les plus réalistes, voire le plus réaliste du 20ème siècle.
  • Se concentrer sur les situations du quotidien, afin d’en transmettre la poésie au lieu de faire vainement rêver, de contribuer à un rêve séparé du réel.
  • Des artifices techniques réduits permettent de se cantonner uniquement à une représentation telle qu’elle est vécue réellement au quotidien sans fioritures inutiles. S’il faut sublimer un passage avec de la musique pour ajouter la touche d’émotion ou « transcendantale » ( par exemple lors d’un passage « spirituel » ) que les images seules ne peuvent véhiculer, mieux vaut utiliser une musique simple et « brute » ( au sens où la musique n’est pas « surchargée » et est directement reliée à une sensation, par exemple de la noise pour la rage, de l’ambient pour la transe etc… ). Néanmoins mieux vaut ne pas abuser de l’usage de la musique pour éviter de créer de « fausses situations », de sublimer faussement des évènements, de faire croire à des sensations que nul ne vit réellement.
  • Il est recommandable de s’attarder sur les choses : en opposition à la vitesse de ces temps spectaculaires il faut pouvoir s’attarder sur ce qui est filmé, sur le sens des images afin d’en dévoiler la beauté, la richesse. Point d’empressement. On peut penser au film Ten Skies de James Benning qui s’attarde sur le ciel, nous en révèle la beauté, la profondeur, la magie. L’image devra donc retrouver sa simple réalité d’image, en perdant sa pseudo-réalité : renvoyer à la réalité, en transperçant la couche spectaculaire. Quand le film montrera la lune, le spectateur sortira du film, pour retrouver la lune.
  • Il faudrait également associer des images, des idées afin de transmettre par un langage « surréaliste » les connexions poétiques qui se font de nos jours. Des trois points précédents nous pouvons imaginer qu’un cinéma qui voudra insister et transmettre une situation spirituelle pourra être un cinéma onirique, dilué dans le temps, surréaliste, « flottant » pour rapprocher de l’extase spirituelle et transcendantale. Contre le cinéma sensationnaliste, faire surgir la lourdeur universelle de l’ordinaire mais, dans le même mouvement, contre le cinéma réaliste, faire surgir l’extra de l’ordinaire.
  • Si The truman show révélait la facticité ambiante du point de vue de la vérité existentielle venant à surgir, le cinéma qui vient révèlera la vérité existentielle du point de vue de la facticité venant à s’interrompre The falseman reality.

Photo de Pietro Jeng sur Pexels.com

Theoretical and practical sketches for a radical detour of the cinematographic creation.

« The future arts will be upheavals of situations, or nothing. » Debord, Prolegomena to all future cinema.

Film production today is for the vast majority a separate artistic production. What does this mean? That the majority of cinematographic production today supports the spectacular relationships of society, mediates them. Everything that could be experienced directly is removed in a representation and is experienced in it.

The social relations are corrupted. The majority of the current cinematographic production maintains the spectacular social relations by providing ways of interacting, a corrupted representation of reality that will be taken for granted. It doesn’t matter if old ideas are overturned by new ones if these new ones maintain the same separation. The different media points of view that are fighting each other have only one goal: to seize social relationships to enrich their common background: the spectacle.
Why to attack the cinema and not the literature? Because cinema, as an almost total art (because it can use the other arts), has a persuasive force that is far superior to other arts. Moreover, it is unquestionably (with music) the most popular art nowadays, in Western societies.
The terms and the reasons for the existence of this text having been specified, it is time to expose our point of view. The cinematographic production maintaining the spectacular relations and the separation, it is necessary to oppose it a new theory, a new guide, new signs of indication to create a really poetic cinema. It is not a question of creating a dogma or a fixed framework. These die when their authors abandon them, Lars Von Trier knows something about that. It is not a question of creating a doctrine like socialist realism because these become tyrannical and die with the ideas. It is a matter of continuing the movement of reality, of awakening it where it slumbers.

It is not an organized movement but the expression of the vital forces of each and everyone. If we had to summarize this movement in one sentence, we would say: cinema must work to find, to discover the poetry that remains in the real to implicitly oppose the spectacular separation.

Each part of this sentence is important. « Cinema must work » is indeed its historical role, in a nod to the spectacular society, to confront it. « To find, to discover the poetry that remains in reality » As a famous song says, we live in a disenchanted world. We seem to be relatively free but this freedom has neither foundations nor goals. Poetry is running out of steam in the face of the onslaught of industry, the consequences of separation. Even the best artistic productions sell us a separate poetry that maintains spectacular relationships. Nevertheless, we believe that as humans we are still capable of being spiritual, of being poetic. Theyubsist, a poetry survives, postmodern perhaps, but a poetry nevertheless. « To oppose it implicitly to the spectacular separation « It is not a question here of attacking the spectacular society head on. That would be to pour in the ideological militancy. It is a question of opposing the spectacular society, of proposing an alternative by refusing it, by denying it.
To show that another relation to the poetry, another use of the art exists, unified to the real. It is a question of de-spectacularizing the cinema, to remove the passive hold that it has on the real, just as it is necessary to de-politicize the real to leave this totalitarian hold that has today the empty political reflection on our lives. It is another debate but intimately linked.
To depoliticize the real is the only valid political act just as to despectacularize the art is the only means to oppose the separated art, the art of the separation.
Let’s just remember that these theoretical and practical considerations do not aim to be a diktat, to designate once and for all the « correct » way of making cinema. These considerations aim at proposing a way of thinking and making a cinema closer to the poetry of reality, but this does not include all possible and imaginable cinema. These first theoretical considerations having been posed, let us now pass to the practical explanation, to the way of being of this movement.
It is not a question of setting in stone rules to be applied to each cinematographic creation.
Everyone must be able to find their own way, their own way of achieving. It is a question of transmitting tracks and a state of mind via possibilities, examples, which can be taken up, abandoned, improved.
The important thing is to grasp this state of mind:
– The script could be reduced to a few guidelines that the actors will have to flesh out thanks to the improvisation that would push them to really behave. One can think of Jacques Rivette’s film Out 1 where the actors were left to their own devices during the shooting, which resulted in one of the most realistic films of the 20th century.
– Focusing on everyday situations, in order to transmit their poetry instead of vainly making people dream, contributing to a dream separated from reality.
– Reduced technical artifices allow us to confine ourselves only to a representation such as it is really lived in everyday life without useless embellishments. If it is necessary to sublimate a passage with music to add the touch of emotion or « transcendental » (for example during a « spiritual » passage) that images alone cannot convey, it is better to use simple and « raw » music (in the sense that the music is not « overloaded » and is directly linked to a sensation, for example noise for rage, ambient for trance etc.). Nevertheless, it is better not to abuse the use of music to avoid creating « false situations », to falsely sublimate events, to make people believe in sensations that no one really experiences.
– It is advisable to linger on things: in opposition to the speed of these spectacular times, it is necessary to be able to linger on what is filmed, on the meaning of the images in order to reveal their beauty, their richness. No hurry. We can think of the film Ten Skies by James Benning which lingers on the sky, revealing its beauty, its depth, its magic. The image will have to find its simple reality of image, by losing its pseudo-reality: to return to the reality, by transpiercing the spectacular layer.

When the film shows the moon, the spectator will leave the film, to find the moon.
– It would also be necessary to associate images, ideas in order to transmit by a « surrealist » language the poetic connections that are made nowadays. From the three previous points we can imagine that a cinema that wants to insist and transmit a spiritual situation could be a dreamlike cinema, diluted in time, surrealist, « floating » to bring closer to the spiritual and transcendental ecstasy.
– Against sensationalist cinema, to bring out the universal heaviness of the ordinary but, in the same movement, against realistic cinema, to bring out the extra of the ordinary.
– If The Truman Show revealed the ambient facticity from the point of view of the existential truth coming to arise, the cinema that is coming will reveal the existential truth from the point of view of the facticity coming to be interrupted: The falseman reality.


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