Début mars, la communication autorisée annonçait ceci, à propos du gouvernement :
« Le seul scénario où il lâchera , c’est si Paris est en feu, s’il y a un problème aigu de maintien de l’ordre. »
Si l’appel au soulèvement de Paris connu un certain succès d’affichage, il n’y eut ni de soulèvement, ni problème aigu de maintien de l’ordre. Tout resta dans l’ordre du scénario prévisible : des défilés bien encadrés, les débordements habituels, la répression féroce à laquelle nous a habitué l’État depuis les Gilets jaunes.
La question de la retraite permettait pourtant – en théorie – d’en venir à l’essentiel : se retirer tous ensemble de ce processus mortifère dont les effets sur l’humanité et sur la nature n’ont que trop duré – mais l’immense majorité n’y était pas vraiment disposée.
La corde de l’économie l’étrangle, la laisse de la soumission délimite sa liberté, le fétichisme de la marchandise occupe efficacement l’emploi de son temps.
Ce peuple étant néanmoins quelque peu réfractaire, il fut comme jamais bombardé par le Droit, pour mieux lui faire comprendre qu’il était toujours celui du plus fort.
Il n’en reste pas moins qu’un peu d’air émancipateur aura circulé : les relations se sont brusquement améliorées, des solidarités ont resurgi, avec la poésie de la fête, impulsée par l’intelligence collective, qui redécouvrait qu’elle existe, quand elle lâche les Smartphones.
Nous en déduisons à ce stade que le peuple peut encore et toujours reprendre forme humaine – et que ce qui s’est passé restera inscrit dans les mémoires comme une étape de cette reformation.
Le pouvoir ne s’y est pas trompé, jouant de l’hétérogénéité des insatisfactions pour mieux les diviser. Manifester pour la retraite, d’accord, pourvu que la conscience collective n’en vienne pas à remettre en question les finalités de l’aliénation salariale.
Il aurait suffi que cette conscience collective ait le temps de s’attarder, par exemple, sur les méfaits écologiques de l’aliénation, pour que la contestation s’élargisse et se radicalise.
Or à Sainte-Soline, où se trouve un cratère en terre battue et où il n’y a matériellement rien à casser, il y avait cependant le capitalisme techno-industriel qui risquait de casser dans les têtes, ces têtes dans lesquelles l’idée de révolution recommençait timidement de germer.
Ce genre de conjonction historique n’est jamais bon signe pour ceux qui gouvernent le maintien des désastres.
Il fallait donc provoquer un traumatisme social et désigner simultanément comme « terroristes » tous ceux qui essaieraient de s’équiper contre la machine à broyer.
Tout le monde fut officiellement prévenu la veille :
« Les Français vont voir des nouvelles images extrêmement violentes. »
Sainte-Soline était devenue de toute évidence une place imprenable, destinée à mutiler.
Pendant des heures, ce fut donc un champ de tir et de désolation.
La question de la violence pu alors occuper les débats, débats qui doivent bien sûr toujours être vus comme des forces d’occupation des esprits.
S’il y avait un risque, même minime, de voir les villes en feu et que se pose un problème aigu de maintien de l’ordre, il était désormais écarté. Non seulement aucune violence autre que celle de l’État ne serait en aucune façon tolérée, mais la sienne prendrait désormais sa forme la plus implacable.
Le traumatisme social a fonctionné, et lorsque les banlieues, quelques mois plus tard, entrèrent dans la danse, il n’y avait à peu près plus personne ne serait-ce qu’en état de comprendre pourquoi les plus méprisés parmi les dépossédés pouvaient s’en prendre à « leurs » magasins, « leurs » écoles, « leurs » transports » en commun, etc.
Contre ces dépossédés-là, maintenant bien casés aussi dans l’apartheid médiatico-politique, il était loisible de déchaîner une coalition inédite de forces répressives et punitives, avec l’approbation de la passivité des spectateurs, dont il faut admettre qu’ils ont maintenant besoin de vacances.
La marmite sociale ne bout donc plus, quoique l’été soit en feu, puisque aucun lien n’est permis entre les deux.
Comme on n’est jamais trop prudent, et que les gestionnaires des désastres savent qu’ils vont avoir beaucoup de pain (falsifié) sur la planche (à billets) , la police doit maintenant être rassurée pour ses éventuelles exactions à venir, qu’il s’agit d’absoudre, autant que pourra le permettre la façade délabrée de l’État de droit.
Inutile alors de tendre le bâton pour se faire battre, inutile de se jeter dans la gueule du loup : sa laideur devrait faire le nécessaire pour activer l’intelligence collective.
La démocratie totalitaire qu’a instaurée la dictature du libre-échange a été contrainte de rafistoler la peur dont aucun pouvoir hiérarchique ne peut se passer. Après la retombée d’une panique suscitée par la gestion tragi-comique du coronavirus, après le flop de la terreur nucléaire importée d’Ukraine, après une trop incertaine invasion d’extra-terrestres, on se serait volontiers rabattu sur ce furoncle d’extrême droite qui avait servi à Mitterrand pour assainir sa fistule pétainiste, mais l’abcès était crevé de longue date.
C’est donc à une terreur en panne d’idéologie, à une répression aveugle, à un viol collectif, à une horreur sans appellation contrôlée que recourent désormais les forces de l’Ordre étatique et supra-étatique.
Nous sommes la proie d’un fascisme botté, casqué, motorisé, violant, violeur, matraqueur, éborgneur, tueur. Il ne relève pas du parti d’extrême-droite, même si celui-ci applaudit à ses exploits.
Sa barbarie porte le sceau de la légalité. Elle est le mode d’expression des milices gouvernementales et mondialistes. Le fascisme est le bras armé du parti de la mort. Il est par excellence le culte de la charogne. Il en perçoit la dîme.
Ensauvagés par le ressentiment, les frustrations dont ils se vengent en tabassant et en massacrant ce qui passe à portée, les policiers ont quelques raisons de se gausser de notre indignation, de nos protestations humanitaires, de nos pétitions, de nos cahiers de doléances. Pourquoi se priveraient-ils de ricaner quand ils nous voient implorer la clémence de pantins mécanisés dont ils enragent secrètement d’être la vile serpillière ?
Ce qu’ils attendent fébrilement n’est pas qu’on les aime mais qu’on les haïsse.
Leur haine de soi et de la vie se nourrit de la peur qu’ils éprouvent et qu’il propagent. Les conflits du passé ne manquaient pas de clarté. L’ennemi faisait sens, il était le nazi, le communiste, l’envahisseur, le barbare venu d’ailleurs. Mais pour taper sur une foule de promeneurs, quelle raison la matraque invoquera-t-elle si, par le plus improbable des hasards, il lui arrive de penser ?
Cette absence de raison est par elle même une question. Ne pas y répondre la renvoie au demandeur. Il se peut qu’elle tourne et se retourne en lui, qu’elle le taraude de son absurdité. Mais combien de temps prendra-t-elle pour inciter la troupe à dresser la crosse en l’air ?
L’autre solution est de répondre mais en n’apportant pas la réponse attendue. Quelle est la réponse espérée ? L’exécration, le rejet, le mépris, la tenue de combat, la descente dans l’arène. Un comportement où nous perdrions notre humanité pour avancer en porte-à-faux et entrer en barbarie.
Puisque la réaction attendue est « on va vous rendre l’existence impossible », décrétons, à l’inverse, « nous allons vous rendre la vie possible. » Non par esprit de provocation mais parce que nous restons fidèles au projet humain qui est le nôtre.
Il serait illusoire, voire ridicule, de miser sur un travail de dissociation du policier, qui lui laisse une chance de recouvrer son humanité en désertant la machine à broyer le vivant, dont il est lui-même victime. Mais que risquons-nous à lui signifier – de loin et à l’abri de ses réflexes sado-masochistes – que nous ne voulons ni pardon ni talion ? Que nous voulons seulement que la vie soit à tous et à toutes, sans exclusion.
Nous n’avons pas de message à adresser, nous avons une expérience à mener sans discontinuer. Il nous appartient de poursuivre l’occupation de notre terre, d’autogérer notre eau, de fonder partout dans le monde des micro-sociétés où les assemblées permettent à chacun la libre expression de ses désirs, leur affinement, leur harmonisation (l’expérience zapatiste montre que c’est possible.)
Osez parler d’utopie et de chimère alors que la France retrouve l’élan qui la libéra de l’Ancien régime ? Alors que s’esquissent sous nos yeux des collectivités où s’incarnent dans l’authenticité vécue ces idées d’égalité, de liberté, de fraternité, qui avaient été vidées de leur substance ?
Notre révolution sera celle de la jouissance contre l’appropriation, de l’entraide contre la prédation, de la création contre le travail.
Ne rien céder sur l’invariance de notre projet humain tisse une cohésion existentielle et sociale qui a les moyens et l’ingéniosité de pratiquer une guérilla démilitarisée soumettant à un harcèlement constant le totalitarisme étatique pourrissant.
Ceux qui misent sur notre essoufflement ignorent que le souffle de la vie est inépuisable. A courir en revanche partout où l’on détruit leurs machines, comment les oppresseurs ne s’étoufferaient-ils pas à perdre haleine ?
Nous entrons dans l’ère de l’autogestion et du renversement de perspective.
Nous n’avons connu de vie que sous l’ombre glacée de la mort. Nous n’avons rien entrepris sans penser que notre entreprise était vaine et insensée.
La France, en se soulevant, ouvre au monde des voies radicalement nouvelles. La créativité poétique du « peuple des bassines » s’inscrit dans un mouvement d’autodéfense du vivant appelé à croître, à se fédérer, à multiplier, non par volontarisme mais parce que c’est cela ou se momifier dans un environnement sans insectes et sans oiseaux.
Nous ne sommes ni Sisyphe ni Prométhée, nous refusons les sacrifices, à commencer par le sacrifice de notre existence. Nous sommes des individus conscients que la vie et la terre leur ont été données avec un mode d’emploi dont ils sont en tant qu’humains les seuls détenteurs.
La vie en quête d’humanité a tous les droits, elle n’a aucun devoir. Tel est le renversement de perspective qui nous affranchit du ciel des Dieux et des idées, et nous remet droit debout, bien ancrés sur la terre.
Nous sommes arrivés à un point de rupture avec un passé qui nous a mécanisés (le comportement militaire en fait partie). Nous sommes le point de départ d’un présent qui ne régressera plus. Nous sommes la renaissance d’une vie que rien n’a réussi à étouffer et qui maintenant revendique sa souveraineté.
Regardez ! Nous étions une poignée de gueux, le gratin des rien-du-tout. Nous sommes des millions à découvrir une intelligence du vivant qui nous tient quitte de l’intelligence morte, qui nous a gérés comme des choses. Nous ne sommes plus une marchandise. Nul besoin de fanfaronner pour le faire savoir. Commençons par la base : plus d’école inféodée au marché, plus d’agriculture dénaturée, plus d’ordres à donner ni à recevoir !
Il faut cesser de raisonner en termes de victoire et de défaite, comme des encasernés. La militarisation des corps et des consciences, ça suffit !
Ce qui effraie le Pouvoir, c’est moins le grand nombre des opposants que la qualité de la vie qu’ils revendiquent. Lors des grèves anciennes, les patrons redoutaient moins l’ampleur numérique du mouvement que la joie profonde qui animait les insurgés. Ils avaient les moyens d’en venir à bout grâce au chantage habituel du « pas de travail, pas de salaire ! ».
Alors que le capitalisme annonce aujourd’hui sans ambages que la hausse du prix des denrées et la baisse des salaires sont inéluctables, que l’on m’explique comment le chantage traditionnel a la moindre chance d’obtenir une reprise générale du travail ! On comprend en revanche que l’État – tenu d’enrichir ses pourvoyeurs – n’ait plus, pour masquer sa faillite sociale, qu’à tabasser ce peuple dont la présence le terrorise. Mais pendant combien de temps ?
Qu’on ne nous accuse pas de vouloir abattre l’État. Il s’abat tout seul et il s’abat sur nous.
Son inutilité dévastatrice nous met en demeure de palier, par la création de zones d’autodéfense du vivant, la disparition programmée des biens dont il nous pourvoyait jadis quand il se souciait d’une communauté citoyenne. Ce n’est pas le tout de mourir, il faut bien vivre !
Rien ne résiste à l’autodéfense du vivant.
Il n’est pas une seule forme de gouvernement qui n’ait fait le malheur des peuples censés bénéficier de ses bienfaits. A peine sortis des pires dictatures, nous avons hérité de la meilleure, si l’on peut qualifier ainsi un totalitarisme économique où le politique perd pied tant se déversent et s’amoncellent en cette fin de parcours les excréments de ce qui fit la gloire du passé – aristocratie, démocratie, oligarchie, impérialisme, monarchie, autocratie et tutti quanti.
C’est de ce tout-à-l’égout où ils s’enlisent que nos ennemis prétendent mener contre nous une guerre à outrance ? Voire ! Nous sommes capables de frapper, de disparaître, de resurgir où on nous attend le moins. Nous avons appris des guérillas traditionnelles que leur échec fut moins le fait de la violence répressive que de leur propre organisation interne où se perpétuait la structure hiérarchique du monde dominant. Souvenez vous de l’effarement des élites françaises devant les gilets jaunes : « où sont donc les chefs, les responsables avec qui discuter ? » Eh non ! Il n’y en avait pas. Faisons en sorte qu’il n’y en ait jamais !
L’autogestion est une expérience qui a prouvé sa viabilité dans l’Espagne révolutionnaire de 1936, avant d’être écrasée par le parti communiste. Elle est l’organisation par le peuple de la satisfaction des besoins et des désirs de celles et de ceux qui le composent. Ses principes théoriques prennent naissance dans le vécu des collectivités où lutter ensemble enseigne un art des accords et des discordances qui n’est pas étranger aux résonances musicales de l’existence individuelle et de la nature. Partout où apparaissent des zones d’autodéfense du vivant, l’intelligence du cœur l’emporte sur l’intelligence de la tête et enseigne à tout réinventer.
Ce que mai 1968 nous a légué de plus radical, c’est le projet d’occupation d’usines où les prolétaires commençaient à envisager de les faire tourner au profit de tous et de toutes (éventuellement en les reconvertissant). Le parti communiste s’y opposa violemment, ce fut sa dernière victoire avant l’effondrement définitif.
Le travail parasitaire et la spéculation boursière ont fait disparaître les lieux de production socialement utiles mais la volonté d’occuper des lieux où nos racines sont les racines du monde n’a pas fléchi. Récupérer les rues, les places, les communes, c’est un combat qui se livre à la base. Il n’est pas tolérable que les nourritures empoisonnées par l’industrie agro-alimentaire pourrissent l’air ambiant et pénètrent dans nos cuisines où nous avons le bonheur de concocter des plats sains et savoureux.
La terre est un lieu de jouissance humaine, non une jungle où règnent la prédation et l’appropriation. Nos libertés sont nourricières. Nous assistons à la renaissance d’une vie qui n’a que des commencements et ignore qu’il existe une fin.
«Les Français vont voir des nouvelles images extrêmement violentes» annonçait Darmanin vendredi soir, la veille, sur la vomitive chaîne CNEWS.
Le ministre de l’Intérieur savait exactement ce qui était prévu le lendemain à Saint-Soline : une partie de ball trap destinée à briser physiquement et moralement les réseaux écologistes et anticapitalistes, mais plus généralement la contestation en plein essor qui menace de s’étendre.
Sur place, les 30 000 personnes ont pu atteindre le site de la mégabassine sans encombre et dans une ambiance plutôt festive. Mais une fois devant, ce cratère en terre battue – où il n’y avait strictement rien à casser – les abords avaient été transformés en camp retranché.
Malgré l’immense détermination et le courage sans faille des anti-bassines, c’était de toute évidence une place imprenable, destinée à mutiler.
Pendant des heures, ce fut donc un champ de tir et de désolation.
Grenades lancées par des blindés, assauts de gendarmes en quad qui tirent à vue aveuglément, détonations constantes, hélicoptères et drones dans le ciel. Dystopie en temps réel.
Plusieurs kilos de C4 ont explosé dans les champs de Sainte-Soline le 25 mars. 4000 grenades ont été tirées en quelques heures. Plusieurs personnes sont mutilées, un jeune homme est toujours dans le coma avec un pronostic incertain. Des milliers de personnes sont choquées.
Il s’agit de provoquer un traumatisme social, de diffuser la peur, de justifier par avance les brutalités à venir, et de désigner explicitement ou implicitement comme « terroristes » tous ceux qui essaieraient de s’équiper contre cette machine à broyer.
L’intérêt dans ce domaine consiste bien sûr à généraliser au plus vite. L’important dans cette sorte de marchandise, c’est l’emballage, ou l’étiquette. Tout ennemi de la démocratie spectaculaire en vaut un autre, comme se valent toutes les démocraties spectaculaires. « Mais de tous les crimes sociaux, aucun ne devra être regardé comme pire que l’impertinente prétention de vouloir encore changer quelque chose dans cette société, qui pense qu’elle n’a été jusqu’ici que trop patiente et trop bonne ; mais qui ne veut plus être blâmée » (Debord, Commentaires sur la société du spectacle).