Anti-remède à tout


Ici gît une civilisation.
On l’a retrouvée couchée dans ses propres chaînes, visage marqué d’horaires, mains déformées par les gestes répétés jusqu’à l’oubli.
Elle portait encore, sur sa peau, les stigmates du rendement : des bleus invisibles, des plaies muettes, un épuisement tatoué dans la chair.

Autopsie du corps social
Le cœur battait jadis au rythme du désir ; il s’est nécrosé dans la comptabilité.
Les poumons, longtemps ouverts au vent du monde, se sont encrassés de chiffres et de bilans.
Le système nerveux s’est effondré sous la pression constante, crispé en convulsions d’angoisse.
Le sang, jadis fluide, s’est coagulé en monnaie.

Autopsie des maîtres
Leur cerveau hypertrophié de calcul a dévoré toute empathie.
Leur langage, réduit à des formules de gestion, sonnait comme un verdict froid.
Ils ont remplacé leurs organes par des machines et se sont proclamés puissants.

Autopsie des subalternes
Fatigue chronique, regards vidés, rêves amputés.
Vies rétrécies à la survie, gestes abrutis par la répétition, imaginaires étouffés sous le poids du salaire.
Addictions comme seuls narcotiques, maladies comme seul repos, résignation comme seul oubli.

Pronostic final
Extinction consentie, désert humain, silence robotique.
Ils offrirent leurs songes à l’algorithme.


Anti-remède à tout,
tu es notre dernière vérité.


Nous avons prié la productivité,
et elle nous a dévorés.


Nous avons bâti des temples aux chiffres,
qui nous ont ensevelis.