Une misère du prolétariat, Des misérables modernes, Des précaires contemporains, Des mendiants d’une conscience plus libre.
Non.
Le monde appartient à ceux qui savent l’apprécier,
À ceux qui savent contempler, À ceux qui savent adorer.
Le monde est une brise, Une nuée d’oiseaux au loin, Ou un moineau solitaire au près, L’effluve de feuilles d’arbres, La nuance complexe du ciel, La simplicité d’une pensée embrouillée par le sommeil,
Le tempo des lumières, L’étirement d’un muscle engourdi,
Le réveil d’une conscience endormie, Le bourdonnement d’un cosmos qui renaît.
Incarnez l’audience de cet univers, Il n’existe seulement que pour ceux qui l’écoutent,
Naître. Renaître. Grandir.
C’est ça, le monde. Le monde depuis ma fenêtre. Et il m’appartient.
La libération des formes artistiques a partout signifié leur réduction à rien.
Il ne reste que la trace, chez quelques créateurs modernes, d’une conscience traumatisée par le naufrage de l’expression comme sphère autonome.
L’œuvre fondamentale d’une sécession radicale doit être, avec la réactualisation de la critique, un nouvel essai de réponse aux exigences d’une communication créative de la part émancipée du vécu.
Dans un article inédit de 1947 (« Le matérialisme dialectique est-il une philosophie ? »), recueilli dans son livre Recherches dialectiques, Goldmann analysait très bien le résultat, dans l’avenir, du mouvement culturel qu’il avait sous les yeux, en écrivant : « … Comme le droit, l’économie ou la religion, l’art en tant que phénomène autonome séparé des autres domaines de la vie sociale, sera amené à disparaître dans une société sans classes. Il n’y aura probablement plus d’art séparé de la vie parce que la vie aura elle-même un style, une forme dans laquelle elle trouvera son expression adéquate. » Mais Goldmann, qui traçait cette perspective à très longue échéance en fonction des prévisions d’ensemble du matérialisme dialectique, n’en reconnaissait pas la vérification dans l’expression de son temps.
Il jugeait l’écriture ou l’art de son temps en fonction de l’alternative classique–romantique, et il ne voyait dans le romantisme que l’expression de la réification.
Or, il est vrai que la destruction du langage, depuis un siècle de poésie, s’est faite en suivant la tendance romantique, réifiée, petite-bourgeoise, de la profondeur ; et, comme l’avait montré Paulhan dans Les Fleurs de Tarbes, en postulant que la pensée inexprimable valait mieux que le mot.
Mais l’aspect positif de cette destruction, dans la poésie, l’écriture romanesque ou tous les arts plastiques, c’est d’être en même temps le témoignage de toute une époque sur l’insuffisance de l’expression artistique. C’est d’avoir été la destruction pratique des instruments de cette pseudo-communication, posant la question de l’invention d’instruments supérieurs.
Il n’y a pas, pour les sécessionnistes du Spectacle, de possible retour en arrière. Le monde de l’expression qui s’y affiche, quel que soit son contenu, est définitivement périmé.
Weirdcore. Le spectacle produit ici/nulle part la représentation de l’évasion impossible. L’évasion comme représentation seulement. La mémoire en miettes d’un vécu perdu se confond avec les restes indigestes de l’orgie spectacliste. Le message est qu’on ne sort du spectacle que par et dans les égouts du spectacle, où se recycle le dégoût comme goût.
Le maintien ou la subversion de cette société n’est pas une question utopique : c’est la plus brûlante question d’aujourd’hui, celle qui contient toutes les autres.
Les créations de l’avenir devront modeler directement la vie, créant et généralisant les « instants exceptionnels » et c’est ce qu’il s’agit d’explorer.
La difficulté de ce saut était déjà mesurée par Goldmann quand il remarquait (dans une note de Recherches dialectiques, page 144) :
« Nous n’avons aucun moyen d’action directe sur l’affectif. »
C’est la tâche des créateurs d’une vie nouvelle d’inventer ces moyens, ce qui revient à la rendre intense et désirable.
La situation sera perçue comme le contraire de l’œuvre d’art, qui est un essai de valorisation absolue, et de conservation, du moment figé (ceci était l’épicerie fine esthétique d’un Malraux par exemple).
Le constructeur de situations, si l’on reprend un mot de Marx, « en agissant par ses mouvements sur la nature extérieure et en la transformant… transforme en même temps sa propre nature ».
Comme les prolétaires, théoriquement, devant la nation, les sécessionnistes campent aux portes de la culture en miettes congelées.
Ils ne veulent pas s’y établir.
Bien sûr, le dépérissement des formes artistiques, s’il se traduit par l’impossibilité de leur renouvellement créatif, n’entraîne pas encore leur véritable disparition pratique. Elles peuvent encore spectaculairement se répéter, sous assistance artificielle.
Ce qui porte le nom d’art contemporain est un composé de publicité, de finance spéculative et de bureaucratie culturelle. Jaime Semprun.
Mais, pour parler comme Hegel dans la préface de la Phénoménologie de l’Esprit : « La frivolité et l’ennui qui envahissent ce qui subsiste encore, le pressentiment vague d’un inconnu sont les signes annonciateurs de quelque chose d’autre qui est en marche. »
Nous devons aller plus loin, sans nous attacher à rien de ladite culture moderne, et non plus de sa négation. Nous ne voulons pas travailler au spectacle de la fin d’un monde, mais à la fin du monde du spectacle.
Détourné de Internationale situationniste n° 3, décembre 1959.
The bilingual text published last year is presented as a development of situationist theory. It articulates money and the spectacle as two sides of the same coin. By hijacking the analyses of Marx and the situationists, it decisively demolishes the idol. We’ve been asked for it often enough, and we thought it would be a good idea, with the publisher’s agreement, to make it available free of charge to everyone.
Le texte édité l’an dernier en bilingue se présente comme un développement de la théorie situationniste. Il articule précisément l’argent et le spectacle en tant que faces de la même pièce. Détournant les analyses de Marx et des situationnistes, il met décisivement à bas l’idole. On nous l’a assez souvent demandé, il nous a semblé bon, avec l’accord de l’éditeur, de le mettre à présent gratuitement à la portée de toutes et tous.