
Mois : janvier 2022
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Masayuki Ozaki (Tokyo) est heureux : il a acheté une poupée en silicone : elle est l’amour de sa vie. -
Debord disait (de mémoire) que bientôt auraient disparu les conversations, avec les derniers anciens qui savaient encore les pratiquer. Et qu’avaient déjà disparu bon nombre de choses comme le vrai pain. C’était au milieu des années 80. Il est resté le nom, l’apparence, tandis que la chose a disparu. Cela résume assez ce qu’est la société du spectacle : pas juste un spectacle : une nouvelle réalité, qui s’est substituée à l’ancienne – et qui entend se substituer à la réalité tout court.
Anecdote : j’évoquais Florence, comme exemple d’une ville bâtie avec goût et sensibilité, en la comparant aux réussites rentables et fonctionnelles des villes dortoirs ; réussites séparées, car elles sont incapables d’intégrer l’ensemble des paramètres émotionnels, urbanistiques, psychologiques, économiques, écologiques, etc., qui vont avec. D’ailleurs quand bien même certains de ces paramètres, pour certains produits destinés à durer, sont intégrés, ils ne le sont que sur le seul plan du calcul, comme si la réalité de la vie pouvait être enfermée dans un calcul.
La jeune fille à qui je parlais de Florence y avait été : elle n’a pas aimé.
J’en conclus que non seulement la plupart des possibilités de comparaison de l’authentique ont disparu, mais que même quand il en subsiste quelques traces, ont disparu les gens capables de l’apprécier. Les fanatiques de la vie falsifiée pourront bien dire que d’autres goûts sont venus avantageusement remplacer les authentiques, ces goûts-là n’en ont plus – non plus – que le nom.
Cette société se terminera donc dans un dégoût universel.
(Je me dépêche d’écrire ces mots avant que leur sens ne soit lui-même définitivement remplacé)
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Il est bien évident que l’école se rapproche du milieu carcéral : horaires, immobilité, contrainte, discipline, punitions et maintenant télésurveillance à tous les étages. Les enfants naissent et grandissent dans un monde d’adultes déjà détruit. Fatalement ce que les adultes leur enseignent est une adaptation à la forme d’anéantissement qui leur tient lieu d’existence.
Comment supporter l’insupportable, comment accepter l’inacceptable voilà le principal de l’enseignement. Des soldats pour la guerre, des soumis pour l’usine, des vaincus pour les maîtres.
Le peu que je sais du monde dans lequel je surnage tant bien que mal, est d’origine extra-scolaire pour ne pas dire extra-terrestre, tant il faut s’éloigner des idées, non pas reçues mais infligées, pour retrouver un rien de bon sens.
Un jour nous serons libres et nos enfants grandiront dans l’amour et la liberté et ce ne sera pas le foutoir. Du reste, nos maitres essayent de nous faire passer le foutoir que nous vivons, pour un monde normal.
Ce que les hommes vivent actuellement est, pour moi, le résultat de l’ignorance, de la bêtise, de la folie et du goût criminel du pouvoir. Je ne vois rien de “normal” dans cette ahurissante foire d’empoigne que l’on appelle les marchés, rien de normal dans le pillage intégral de la terre, rien de normal dans le monde qu’ils essaient, entre autres par le biais de l’enseignement public, de nous faire passer pour “normal” autant que naturel.
Je n’ai pas été bon élève.
The prison of our childhood dreams.
It is quite obvious that school is getting closer to the prison environment: schedules, immobility, constraint, discipline, punishments and now remote surveillance on all floors. Children are born and grow up in a world of adults already destroyed. Fatally, what adults teach them is an adaptation to the form of annihilation that takes the place of their existence.
How to bear the unbearable, how to accept the unacceptable, that is the main part of the teaching. Soldiers for the war, submissive for the factory, defeated for the masters.
The little I know of the world in which I survive as best I can, is of extra-scholastic origin, not to say extra-terrestrial, so much it is necessary to move away from ideas, not received but inflicted, to find a little common sense.
One day we will be free and our children will grow up in love and freedom and it will not be a mess. Besides, our masters try to make us pass the mess we live in, for a normal world.
What men are living now is, for me, the result of ignorance, stupidity, madness and the criminal taste for power. I see nothing « normal » in this bewildering market place, nothing normal in the total plundering of the earth, nothing normal in the world that they try, among other things through public education, to make us believe is « normal » as well as natural.
I have not been a good student.
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Implants neuronaux, dislocation du rapport au réel, guerres cognitives, hyper contrôle biométrique et analyse comportementale en temps réel. Jean-Baptiste Colas, « la rockstar du ministère des armées » (sic) nous donne un aperçu dans la joie et la bonne humeur.
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La condition de l’homme ressemble aujourd’hui à l’état pitoyable d’un patient décrit par le psychiatre Bruno Bettelheim : un jeune garçon de neuf ans qui s’imaginait que sa vie dépendait de machines. « Sa conviction était si puissante, » rapporte le Dr Bettelheim, que le malheureux enfant « transportait partout un équipement de vie compliqué, composé d’une radio, de tubes, d’ampoules électriques et d’un respirateur artificiel. Au moment des repas, il se reliait à des fils électriques imaginaires afin de pouvoir digérer sa nourriture. Son lit était équipé de piles, d’un haut-parleur et d’autres appareils improvisés, censés le garder en vie pendant son sommeil. »
C’est du fantasme de ce petit garçon autiste que se rapproche rapidement l’état de l’homme moderne dans la vie réelle : car il ne saisit pas encore à quel point il est pathologique d’être coupé de ses propres ressources naturelles pour vivre, de ne pas se sentir rassuré par le lien qui l’unit au monde naturel et à ses semblables s’il n’est pas connecté au système de puissance, ou à une vraie machine, de recevoir en permanence des informations, des directives, des stimulants et des sédatifs provenant d’une source centrale extérieure, et de n’avoir que peu d’occasions d’entreprendre de son propre chef une activité qui le motive personnellement.
– Lewis Mumford. « Technique, pouvoir et évolution de la société », 1972. -
The people is a strange philosophical object: many thinkers distrust it: because it follows its passions rather than its reason, because it is easily manipulated, even servile. Others idealize it, because it has a mission, because it represents the universal common interest…
It certainly represents a danger for those who dominate it: because it is numerous, relatively unpredictable.
In relation to these two aspects, those who dominate have never ceased throughout history to improve their weapons: on the one hand to divide this great number, on the other hand (which can be the same) to format it to the maximum. This has been quite successful so far.
When this is no longer sufficient, there is always the strong way; noting that those who hold the weapons are themselves part of the people, which is not without risks for those who dominate.
And when the people succeed in overthrowing them, which sometimes happens, what happens? New dominants appear, acting in the name of the people; this is logical and all the more effective because, at the same time, to attack these new dominants is to attack the people. Here again, we notice that these dominants come from the people.
It happens however, but it is rare and on a small scale, that fractions of the people manage to set up forms of self-governance without dominators: but as they are only fractions, the rest of the people, with its leaders, does not have too much difficulty in crushing them.
We have never gone beyond these sad processes.
The people, still sometimes idealized, often still despised, more than ever divided and conditioned, thus remains the great question mark of universal history: will they succeed one day in getting rid of their submission to those who dominate them, without producing new dominators, and in a sufficiently massive way to discourage any return?
Photo de Mike Chai sur Pexels.com Le peuple est un étrange objet philosophique : beaucoup de penseurs s’en méfient : parce qu’il suit ses passions plutôt que sa raison, parce qu’il est facilement manipulable, voire servile. D’autres l’idéalisent, parce qu‘il a une mission, parce qu’il représente l’intérêt commun universel…
Il représente assurément un danger pour ceux qui le dominent : parce qu’il est nombreux, relativement imprévisible.
Par rapport à ces deux aspects, ceux qui dominent n’ont cessé à travers l’histoire d’améliorer leurs armes : d’un côté diviser ce grand nombre, d’un autre côté (qui peut être le même) le formater au maximum. Cela a jusqu’ici plutôt bien réussi.
Quand ce n’est plus suffisant, il reste toujours la manière forte ; en remarquant que ceux qui tiennent les armes font eux-mêmes partie du peuple, ce qui n’est pas sans risques pour ceux qui dominent.
Et lorsque le peuple réussit à les renverser, ce qui arrive parfois, que se passe-t-il ? De nouveaux dominants apparaissent, agissant au nom du peuple ; c’est logique et d’autant plus efficace que du coup, s’en prendre à ces nouveaux dominants, c’est s’en prendre au peuple. Là encore on remarque que ces dominants sont issus du peuple.
Il arrive cependant, mais c’est rare et à petite échelle, que des fractions du peuple parviennent à mettre en place des formes d’autogouvernance sans dominateurs : mais comme ce ne sont que des fractions, le reste du peuple, avec ses dirigeants, n’a pas trop de mal à les écraser.
Nous n’avons jamais dépassé ces tristes processus.
Le peuple, encore parfois idéalisé, souvent encore méprisé, plus que jamais divisé et conditionné, reste donc le grand point d’interrogation de l’histoire universelle : parviendra-t-il un jour à se défaire de sa soumission à ceux qui le domine, sans produire de nouveaux dominateurs, et de façon suffisamment massive pour décourager tout retour en arrière ?