Dans sa phase initiale, le Spectacle commence par coloniser la réalité, à laquelle il impose ses normes consommables. Dans sa phase finale, il a gommé puis recomposé la réalité non seulement à son image, mais surtout en tant qu’image. Le Spectacle est devenu la réalité d’un mirage, au centre du désert général.
Lorsque le Personnage en chef a perdu toute aura, le mirage se dissipe, et le désert surgit. A ce moment précis, le Spectacle a rejoint son concept, en tant qu’expression du vide et vide de l’expression, qui s’imposent sans réplique.
Lorsque le peuple a ainsi été dissous, la dissolution, en se retournant, devient une arme. Il s’agit de manifester non plus par le nombre, mais par une abstention généralisée. Usines vides, bureaux vides, commerces vides, rues vides, le tout reconductible. Telle est la tâche du prochain comité invisible, devenu peuple.
« Pourriez-vous s’il vous plaît reconnaître l’imposture que vous appelez « démocratie », qui consiste à choisir parmi vos candidats déjà choisis lequel nous manipulera, et exposer enfin clairement l’absurdité de cette non vie que vous nous faites vivre, qui se résume à produire comme des machines et consommer comme des zombies des objets empoisonnés qui nous rendent malades et pourrissent la terre, pour la publicité desquels des millions sont investis, qui en augmentent le prix et l’illusion, et l’aberration de l’accumulation d’argent entre les mains des riches au détriment de l’immense majorité des gens qui peinent à joindre les deux bouts, quand il reste des bouts, et nous montrer l’étendue du scandale de vos privilèges qui rendent si insultante votre condescendante démagogie, et comment vous êtes main dans la main avec les fossoyeurs industriels de la terre et de nos jours, et aussi avec tous ces médiatiques rassis bien assis qui nous saoulent de leurs airs complices, et ouvrir pour finir bien grand le rideau en lambeaux censé masquer le mirage qui nous entraîne dans le naufrage universel, sans arche pour en réchapper, ou bien vous pensez-vous ses guides indispensables quoi qu’il en coûtera, tout en préparant ce monde ravagé où vous essaierez de survivre à l’asphyxie depuis vos bunkers et vos guerres sans merci ? Merci. »
Nos efforts, nos ennuis, nos échecs, l’absurdité de nos actes proviennent la plupart du temps de l’impérieuse nécessité où nous sommes de figurer des personnages hybrides, hostiles à nos vrais désirs sous couvert de les satisfaire.
Le rôle est cette caricature de soi que l’on mène en tous lieux, et qui en tous lieux introduit dans l’absence.
Et plus la vie quotidienne est pauvre, plus s’exacerbe l’attrait de l’inauthentique. Et plus l’illusion l’emporte, plus la vie quotidienne s’appauvrit. Délogée de l’essentiel à force d’interdits, de contraintes et de mensonges, la réalité vécue paraît si peu digne d’intérêt que les chemins de l’apparence accaparent tous les soins. On vit son rôle mieux que sa propre vie.
Mais tant vont les noms aux choses que les êtres les perdent.
De même que nous sommes condamnés à la survie, nous sommes condamnés à faire « bonne figure » dans l’inauthentique.
Si l’individu voulait considérer le monde non plus dans la perspective du pouvoir mais dans une perspective dont il soit le point de départ, il aurait tôt fait de déceler les actes qui le libèrent vraiment, les moments les plus authentiquement vécus, qui sont comme des trous de lumière dans la grisaille des rôles.
Observer les rôles à la lumière du vécu authentique, les radiographier si l’on veut, permettrait d’en détourner l’énergie qui s’y est investie, de sortir la vérité du mensonge. Travail à la fois individuel et collectif.
Egalement aliénants, les rôles n’offrent pas pour autant la même résistance. On se sauve plus aisément d’un rôle de séducteur que d’un rôle de flic, de dirigeant, de prêtre. C’est ce qu’il convient pour chacun d’étudier de très près.
Collectivement, il est possible de supprimer les rôles. La créativité spontanée et le sens de la fête qui se donnent libre cours dans les moments révolutionnaires en offrent de nombreux exemples. Quand la joie occupe le cœur du peuple, il n’y a ni chef ni mise en scène qui puisse s’en emparer.
C’est sans conteste de l’inadaptation à la société du spectacle que viendra une nouvelle poésie du vécu, une réinvention de la vie.
L’effacement de la personnalité accompagne fatalement les conditions de l’existence concrètement soumise aux normes spectaculaires, et ainsi toujours plus séparée des possibilités de connaître des expériences qui soient authentiques, et par là de découvrir ses préférences individuelles. L’individu, paradoxalement, devra se renier en permanence, s’il tient à être un peu considéré dans une telle société. Cette existence postule en effet une fidélité toujours changeante, une suite d’adhésions constamment décevantes à des produits fallacieux. Il s’agit de courir vite derrière l’inflation des signes dépréciés de la vie. La drogue aide à se conformer à cette organisation des choses ; la folie aide à la fuir. Guy Debord, Commentaires sur La société du spectacle.
La notion d’observatoire renvoie pour nous étymologiquement à la théorie (de θεωρέω, theôréô : « examiner, regarder, considérer ») : l’action d’observer. C’est peu de choses, et nous sommes peu de choses. Nous n’avons pas idée d’être une avant-garde de quoi ou de qui que ce soit, mais nous nous efforçons, dans et par nos observations, de marcher au pas de la réalité (« être d’avant-garde, c’est marcher au pas de la réalité » – I.S, numéro 8).
Nous n’avons ni la prétention de faire aussi bien que les situationnistes, ni d’en être les héritiers, et nos publications à ce jour montrent assez ce qui nous en rapproche et ce qui nous en distingue.
En très bref, ce qui nous en rapproche, c’est de reconnaître activement – c’est-à-dire en nous en servant – la vérité pratique centrale du concept de spectacle (centralement), pour la compréhension et l’intelligence du monde. Ce qui nous en distingue, c’est d’une part une plus grande ouverture à des positions différentes, dont nous cherchons les compatibilités, et aussi de ne pas avoir l’injure ou l’insulte faciles, ce qui nous semble justement un peu trop facile, et sans intérêt.
Une des motivations à l’origine de la formation de l’observatoire, est d’avoir longuement constaté à quel point d’une part le concept de spectacle était intégré au spectacle, pour être si possible définitivement désamorcé ; d’autre part, et a contrario, systématiquement éludé, oublié, abandonné, dans la très grande majorité des publications à vocation ou prétention radicale.
Nous nous sommes efforcés jusqu’ici, avec nos moyens, de le ramener au jour, non par coquetterie ou comme décoration, mais pour en actualiser la réappropriation ; et à vrai dire pour l’instant nous sommes un peu satisfaits des premiers résultats.
Au-delà de ces points rappelés (déjà abordés dans la revue), nous ne prétendons à rien ; certainement pas à devenir une nouvelle internationale, pas plus à reprendre pour une énième fois le bilan sur les situationnistes (et les post-situationnistes), que ce soit pour les encenser ou les salir.
Ils nous ont beaucoup servi, nous nous en servons. Il n’y a pas d’exclusive là-dedans, ni d’exclusion.
On nous a reproché, tout-à-fait gratuitement, de leur vouer un culte, parfois du seul fait de citer Debord, ou bien de vouloir apporter quelque chose de plus ou de nouveau à l’excellence définitive de tout ce qu’ils auraient fait et dit, du seul fait de ne pas nous borner à les citer ou du fait plus douteux encore d’oser ajouter le terme situationniste à notre activité.
Il ne transparaît pourtant nulle part aucun culte de Debord dans nos productions ; nous n’avons pas non plus bricolé quelque nouveau concept foudroyant et nous ne sommes pas plus situationnistes que toute personne qui utilise, plus ou moins consciemment, l’outillage théorique anti-spectaculaire.
Enfin, pour terminer ce petit tour d’horizon, nous dirons quelques mots sur ce qui peut se dire ici et là à notre propos et aussi sur les contacts qui peuvent s’établir avec nous.
Si on nous tient généralement dans un silence prudent (ce que nous pouvons comprendre) et l’ignorance délibérée (ce qui est un sort banal que nous assumons volontiers), on a pu déjà, quoique très rarement encore, évidemment nous calomnier à divers degrés de délire, de manipulation ou de ressentiment. Nous disons qu’il suffit à toute personne honnête de s’enquérir de qui le fait et de comment, pour renvoyer tout naturellement ces crachats à l’expéditeur.
Mais nous avons aussi et bien plus souvent reçu des marques de sympathie et d’intérêt, qui évidemment nous font le plus grand bien, et nous aident à grandir, puisque nous sommes assurément critiquables.
Et puis enfin, nous recevons assez régulièrement des propositions de collaborations. Certaines sont, de toute évidence, suspectes (et comiques), et il n’a pas été trop difficile de les dissuader jusqu’ici. D’autres sont apparemment pleines d’enthousiasme, mais très désarmées ou motivées par l’espoir d’associer son nom à notre entreprise, ce que son anonymat suffit à décourager, une fois qu’il a été rappelé. Enfin quelques-unes, discrètes, apportent de très utiles contributions à la poursuite et l’amélioration de notre entreprise.
Nous ne savons pas si celle-ci aura à la fin été utile à l’époque, ou du moins à quelques-uns dans cette époque, mais nous ne pouvions pas faire moins que ce que nous essayons de faire, qui est une préparation stratégique à la fonte de la banquise de la société du spectacle.
PS. Un extrait amusant d’un échange récent :
« … Je serai ravi de discuter sérieusement de la société du spectacle… pas sûr que Debord apprécie les épigones… »
« Pour tout vous dire Debord n’apprécierait probablement pas que qui que ce soit parle au nom de l’internationale situationniste… donc, par respect pour lui, je décline votre offre. »
L’offre de discussion que vous déclinez était de vous… Pour le reste, nous ne parlons pas au nom de l’internationale situationniste. De même, nous ne parlons pas au nom de Debord, pour évaluer ce qu’il apprécierait ou non. Par respect pour lui d’une part, et aussi parce que nous ne sommes pas ses suivistes. Il eut suffit de jeter un œil sur nos publications, sans même le faire sérieusement, pour comprendre tout cela. Nous préférons, au respect passif des situationnistes, en faire usage librement. Sans autre prétention.
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On trouve sur la page d’accueil du site : d’autres éléments de présentation, les archives de nos publications, un moteur de recherche par mots clés, les liens des 3 PDF de la revue, les liens du livre Généalogie du dieu argent.
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Observations about the observatory.
The notion of observatory refers for us etymologically to theory (from θεωρέω, theôréô: « to examine, look at, consider »): the action of observing. This is little, and we are little. We have no idea of being a vanguard of anything or anyone, but we strive, in and through our observations, to walk in step with reality (« to be vanguard is to walk in step with reality » – I.S, number 8).
We have no pretension of doing as well as the situationists, nor of being their heirs, and our publications to date show enough of what brings us closer to them and what distinguishes us from them.
In very short, what brings us closer is the active recognition – that is, the use – of the central practical truth of the concept of spectacle for the understanding and intelligence of the world. What distinguishes us from it is, on the one hand, a greater openness to different positions, whose compatibilities we seek, and also not to have the easy insult or the insulting, which seems to us precisely a little too easy, and without interest.
One of the motivations at the origin of the formation of the observatory, is to have noticed for a long time to what extent on the one hand the concept of spectacle was integrated to the spectacle, to be if possible definitively defused, on the other hand, and a contrario, systematically evaded, forgotten, abandoned, in the very great majority of the publications with a radical vocation or pretension.
We have tried until now, with our means, to bring it back to the day, not by coquetry or as a decoration, but to actualize its reappropriation; and to tell the truth, for the moment we are a little satisfied with the first results.
Beyond these recalled points (already addressed in the journal), we don’t pretend to do anything; certainly not to become a new international, nor to take up for the umpteenth time the assessment of the situationists (and post-situationists), whether to praise them or to sully them.
They have served us well, we are using them. There is no exclusivity in this, no exclusion.
We have been reproached, quite gratuitously, for worshipping them, sometimes for the mere fact of quoting Debord, or for wanting to bring something more or something new to the definitive excellence of everything they have done and said, for the mere fact of not limiting ourselves to quoting them, or for the even more dubious fact of daring to add the term situationist to our activity.
However, nowhere in our productions is there any cult of Debord; nor have we cobbled together some new lightning concept, and we are no more situationists than anyone else who uses, more or less consciously, the theoretical tools of anti-spectatorship.
Finally, to conclude this little overview, we would like to say a few words about what may be said here and there about us and also about the contacts that may be established with us.
If we are generally kept in a cautious silence (which we can understand) and deliberate ignorance (which is a commonplace fate that we gladly accept), we have already been slandered, although very rarely, to varying degrees of delirium, manipulation or resentment. We say that it is enough for any honest person to inquire who is doing it and how, to naturally return this spittle to the sender.
But we have also and much more often received expressions of sympathy and interest, which obviously do us a great deal of good, and help us to grow, since we are certainly open to criticism.
And finally, we receive quite regularly proposals of collaborations. Some of them are obviously suspicious (and comical), and it has not been too difficult to dissuade them so far. Others are apparently full of enthusiasm, but very disarmed or motivated by the hope of associating their name with our company, which their anonymity is enough to discourage, once they have been called back. Finally, some of them, discreetly, make very useful contributions to the continuation and improvement of our enterprise.
We don’t know if this one will have been useful in the end, or at least to some in this time, but we couldn’t do less than what we are trying to do, which is a strategic preparation to the melting of the ice of the spectacle society.
PS. An amusing excerpt from a recent exchange:
« …I’d be happy to have a serious discussion about the society of the spectacle…not sure Debord appreciates the epigones… »
« To tell you the truth, Debord probably wouldn’t appreciate anyone speaking on behalf of the situationist international… so, out of respect for him, I decline your offer. »
The offer of discussion that you decline was from you… For the rest, we do not speak in the name of the situationist international. Likewise, we do not speak in the name of Debord, to evaluate what he would or would not appreciate. Out of respect for him on the one hand, and also because we are not his followers. It would have been enough to look at our publications, without even doing it seriously, to understand all this. We prefer, to the passive respect of the situationists, to use them freely. Without further pretension.
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On the home page of the site you will find: other elements of presentation, the archives of our publications, a keyword search engine, links to the 3 PDFs of the review, links to the book Genealogy of the Money-God.
« Qui regarde toujours, pour savoir la suite, n’agira jamais : et tel doit bien être le spectateur. »
Guy Debord, Commentaires sur la société du spectacle.
Une importante majorité approuve la contestation. Où sont-ils ? 15 millions devant la télé pour le chef de l’État, 10 millions regardant les autres chaînes (bien nommées). La révolte par procuration. Si tous ceux qui se déclarent révoltés… se révoltaient, les rues, les lieux de travail, de consommation, les symboles de la finance, les antennes des médias… seraient envahis depuis des semaines par des dizaines de millions de personnes et ça déborderait de partout. On en reste aux images. Casser le scénario, casser les séquences, casser le rapport passif-consumériste, casser la société du spectacle. On en est loin.
« Nous avons moins besoin d’adeptes actifs que d’adeptes bouleversés » disait Antonin Artaud. Les situations à construire n’ont surtout pas besoin d’adeptes, mais de gens bouleversés devenus bouleversants.
Comme analysé sans mérite dans « Généalogie du dieu argent« , la situation sociétale est en théorie assez simple : d’un côté, diversifiée selon les diverses panoplies du Spectacle, une masse conditionnée pratiquant la servitude volontaire, certains ayant atteint un état zombie très avancé, de l’autre, minoritaire, un ensemble hétéroclite d’individus plus ou moins isolés luttant contre leurs conditionnements, plus ou moins émancipés de toutes sortes d’idéologies. Le tout sous la pression des désastres écologiques présents et à venir, de la mise en place accélérée du despotisme technoscientifique, de la dictature renforcée des apparences démocratiques, d’une déshumanisation en profondeur des relations, sur fond de survie en sursis perpétuel. Le fond stratégique est alors lui aussi assez simple, puisque, comme le disait la chanson, la vie n’est pas la mort, la mort n’est pas la vie – puisque le Spectacle est déjà fini. Les bouleversements seront permanents et le réaliser suffira à les rendre bouleversants.