𝘓’𝘦𝘧𝘧𝘦𝘵 𝘥𝘦 𝘴𝘱𝘦𝘤𝘵𝘢𝘤𝘭𝘦, c’est l’action permanente et conjuguée de l’ensemble des représentations (médiatiques, politiques, économiques, marchandes) qui captent continuellement l’attention et altèrent la perception du plus grand nombre – de sorte que l’immense majorité trouve normal d’être affairée à produire tous les détails du mirage qui la tient sous hypnose et légitime d’exiger d’en consommer sa part, même pathogène, toxique et falsifiée.
Un jour viendra où le prolétariat se ressaisira comme tel, c’est-à-dire comme celles et ceux qui n’ont aucun pouvoir sur leur vie – et qui le savent. L’abondance numérique échouera devant l’insupportable misère de l’existence qu’elle produit et qui est sa véritable production secrète. Ce monde finira en nausée, et le faux sera vomi.
La guerre en Ukraine, l’horreur sans fin à Gaza, la détérioration climatique : trois réalités différentes, mais liées par un même régime. Celui d’un spectacle algorithmique qui ne se contente pas de montrer : il trie, cadence, oublie. Il administre ce qui existe dans le champ du visible et de l’émotion.
Nous vivons sous bombardement algorithmique : notifications, classements, flux qui décident ce qui compte et ce qui disparaît. Le champ de bataille n’est plus seulement militaire ou diplomatique : il est d’abord et avant tout perceptif.
Ukraine : guerre capteurisée
En Ukraine, la guerre est capteurisée. Drones, satellites, cartes en direct : la ligne de front passe par l’écosystème des plateformes. Les vidéos de frappes deviennent virales. Les infographies et cartes animées transforment la guerre en série à épisodes. La guerre se joue sur les sols, mais aussi dans les flux.
Gaza : visibilité saturée, invisibilité organisée
À Gaza, le régime est celui de l’alternance : hyper-exposition des ruines, puis blackouts imposés. La compassion est mesurée en hashtags et en likes. La fatigue morale épuise les spectateurs. Les plateformes modèrent ou effacent, non pour protéger des vies, mais pour préserver la « sécurité de marque ». L’horreur est ainsi gérée comme un problème de flux publicitaire.
Climat : catastrophe en boucle
Les catastrophes climatiques suivent le même script. Images de flammes, d’inondations, d’ouragans — en boucle, mais détachées des causes systémiques.
L’événement cache le processus : infrastructures fossiles, finance extractive, spéculation sur l’énergie.
L’IA verdit le discours : promesses de solutions, KPI écologiques, tout en consommant toujours plus.
Le climat est réduit à un spectacle d’événements isolés, qui émeuvent – et désarment.
La mécanique du bombardement algorithmique
Quelques règles :
1. Cadence : saturer pour empêcher la pensée. 2. Tri : ranking comme gouvernement du visible. 3. Affect : transformer l’indignation et la compassion en énergie de marché. 4. Mémoire jetable : organiser l’oubli pour neutraliser la responsabilité.
L’algorithme n’informe pas. Il administre nos sensibilités.
Effets sociétaux
Désensibilisation active : voir, c’est finir par accepter.
Fragmentation des vérités : la lutte porte sur la crédibilité, non plus sur la réalité.
Dépouvoir institutionnel.
L’algorithme fonctionne comme un État d’exception global.
Lignes de résistance
Face à cela :
Indésinterprétation : refuser le formatage, créer du hors-cadre.
Réversibilité stratégique : détourner les outils, cibler les infrastructures invisibles (contrats, chaînes logistiques, flux financiers).
Écologie de l’attention : ralentir, archiver, choisir ses rythmes.
Résister, ce n’est pas ajouter des images, mais désarmer la machine de tri.
Conclusion prochaine
Ukraine, Gaza, climat : trois fronts, un même régime. Le spectacle algorithmique.
L’alternative de l’époque est simple et décisive : continuer à nourrir les flux qui nous administrent – ou apprendre à les dérouter, à fissurer leur logique, et à rouvrir du sensible hors du marché.
L’image n’est plus projetée depuis un centre identifiable : elle est calculée à la volée, en fonction des profils, des données comportementales, des segments d’audience.
The image is no longer projected from an identifiable center: it is computed on the fly, based on profiles, behavioral data, and audience segmentation.
Le concept de spectacle, tel qu’élaboré par Guy Debord, suppose une mise à distance constitutive : le spectacle est ce qu’on regarde, ce qui se donne comme image séparée, ce qui aliène en représentant. L’aliénation y est inséparable de la scission entre l’agir et le voir, entre la vie et son double spectaculaire.
Mais dans le monde contemporain, où l’aliénation a muté en mode d’usage, où la séparation s’est dissoute dans la fonctionnalité, ce concept devient partiellement inadéquat. Non pas obsolète, mais insuffisant s’il n’est pas repensé à la lumière des formes nouvelles de domination.
Le spectacle intégré fonctionne encore comme un théâtre : il y a une scène, un public, une mise en image totalisante. Il conserve une structure optique, même si les images se sont accélérées, démultipliées, et agrégées à toutes les couches du monde vécu.
Mais le spectacle algorithmique n’est plus un théâtre : c’est une interface. Il ne se contente plus d’être regardé ; il est activement utilisé, sollicité, intégré aux gestes les plus élémentaires.
Il ne représente plus une vie que nous ne vivons pas : il organise la vie que nous vivons, en la calculant. L’aliénation n’est plus uniquement séparation, elle est prescription. C’est une relation opératoire-représentative, en boucle, où l’outil se fait image, et l’image, instruction.
Chez Debord, la séparation est centrale : ce qu’on fait est vécu ailleurs, par une image qui s’autonomise. Aujourd’hui, cette séparation s’est déplacée — non plus dans une distance visible, mais dans une proximité servile.
Ce n’est plus une vie regardée de loin : c’est une vie paramétrée de l’intérieur, ajustée en temps réel aux besoins du traitement algorithmique. Une vie pilotée par ses propres traces numériques.
Le spectaculaire s’est fait environnemental. Il ne se donne plus en objets ou en spectacles visibles : il se déploie comme climat, comme milieu, comme architecture invisible de nos choix et de nos gestes.
Il n’est plus seulement extérieur, il est ambiant, incorporé, endomisé. Il se confond avec l’aisance d’un service, l’évidence d’un conseil, la fluidité d’une réponse.
La notion de spectacle ne suffit plus à penser cette absorption douce, cette intégration silencieuse de la subjectivité dans l’automatisme. Ce n’est plus le monde comme représentation, c’est la représentation devenue monde.
La carte a mangé le territoire, l’interface a phagocyté la vie.
The concept of spectacle, as developed by Guy Debord, implies a constitutive distance: the spectacle is what one watches, what presents itself as a separate image, what alienates through representation. Alienation is inseparable here from the split between acting and seeing, between life and its spectacular double.
But in today’s world, where alienation has mutated into a mode of use, where separation has dissolved into functionality, the concept becomes partially inadequate. Not obsolete, but insufficient unless rethought in light of new forms of domination.
The integrated spectacle still functions like a theater: there is a stage, an audience, a totalizing mise-en-scène. It retains an optical structure, even if the images have accelerated, multiplied, and embedded themselves in every layer of lived experience.
But the algorithmic spectacle is no longer a theater: it is an interface. It is no longer merely watched; it is actively used, solicited, integrated into the most basic gestures.
It no longer represents a life we do not live: it organizes the life we do live by calculating it. Alienation is no longer merely separation; it is prescription. It is a self-looping operational-representational relation, where the tool becomes image, and the image, instruction.
In Debord’s framework, separation is central: what one does is lived elsewhere, by an image that becomes autonomous. Today, that separation has shifted—not into visible distance, but into servile proximity.
It is no longer a life watched from afar: it is a life parameterized from within, adjusted in real time to the demands of algorithmic processing. A life piloted by its own digital traces.
The spectacular has become environmental. It no longer presents itself in objects or visible spectacles: it unfolds as climate, as milieu, as the invisible architecture of our choices and actions.
It is no longer merely external—it is ambient, embedded, internalized. It merges with the ease of a service, the self-evidence of advice, the seamlessness of a response.
The notion of spectacle is no longer enough to grasp this soft absorption, this silent integration of subjectivity into automation. It is no longer the world as representation; it is representation become world.
The map has devoured the territory; the interface has swallowed life whole.
Face à la société du contrôle, à la dictature de la performance et du spectacle, il faut inventer une insurrection sensible — une explosion silencieuse qui traverse le banal et fissure le quotidien.
In the face of the society of control, the dictatorship of performance and spectacle, we must invent a sensitive insurrection — a silent explosion that cuts through the banal and fractures the everyday.
« Qu’est-ce là ? Des visages sans regards, penchés comme des moines sans foi, Devant des vitres claires où point ne luit le ciel, Mais seulement leur reflet, qui les hypnotise. »
« Le temps s’écoule goutte à goutte, pixel à pixel, Et chacun vit dans un rêve tissé par d’autres mains. Ils parlent sans se voir, s’aiment sans se sentir, Et meurent sans douleur, car déjà ils étaient absents. »
ACTE II — Les puissants
« Voici les nouveaux rois : non d’épée ni de sceptre, Mais d’algorithmes froids et de chiffres muets. Ils gouvernent par les goûts, devinent les pensées, Et font danser le monde comme une marionnette brisée. »
« Leur palais est de verre, leur voix est de néant, Ils n’ont ni chair, ni remords, ni visage à gifler. »
ACTE III — Le peuple en liesse
« Ô peuple ! Enchaîné par les colliers que tu as choisis, Riant de tes chaînes comme si c’était des bijoux ! Tu danses dans la fête que d’autres ont prévue, Et crois qu’il te suffit d’applaudir pour être libre. »
« Le mendiant chante sur TikTok, le sage vend son âme, Et la gloire d’un jour vaut mieux qu’une vie droite. »
ACTE IV — Le langage défait
« Les mots ont fui les livres pour pourrir sur les murs, Griffonnés, saccagés, tordus jusqu’à l’oubli. Les poètes vendent des slogans, les penseurs des likes, Et la langue, jadis reine, est traînée dans la fange. »
« On parle beaucoup pour ne rien dire, Et l’on dit surtout ce qui plaît — non ce qui est. »
ACTE V — Le théâtre du monde
« Tout est spectacle — mais sans théâtre. Tout est mise en scène — sans mise en abîme. Chacun joue son rôle sans connaître la pièce, Et la fin approche sans que nul ne s’émeuve. »
« Je vois un monde où les hommes ne savent plus tomber, Car ils n’ont jamais appris à se tenir debout. »