Le débat sur la transidentité est extraordinairement complexe, déjà du fait que ce phénomène sort précisément de l’ordinaire. Il l’est aussi parce qu’il est singulièrement biaisé de tous côtés par des prises de positions unilatérales. En fait, ce n’est pas un débat, mais une guerre idéologique sans merci, sans nuances non plus.
Deux choses différentes sont à considérer : d’une part, étant donné l’immersion de tout un chacun dans la matrice de la société du spectacle, la prégnance de l’image, de l’apparence sur la construction identitaire.
Ensuite, pour qu’émerge et se développe l’identité authentique, unique et singulière d’une personne, il faudrait déjà que cette personne s’émancipe radicalement des rôles que cette société propose/impose/diffuse/produit ; dans le Spectacle, « citoyen », « homme », « femme » ne sont pas des réalités existentielles émancipées mais des représentations comme autant d’enfermements, d’artificialisations ; de puissants vecteurs et porteurs de conscience faussées, de perceptions faussées, d’identités faussées.
Tout cela, en laissant de côté toutes les dérives comportementales qui découlent naturellement de telles constructions hors-sol.
Et justement, quel est le sol ? Pour certains, c’est la dimension biologique irréductible, pour les autres, le ressenti. Des morceaux, des séparations, des fragments dont on fait des éclats pour briller, mais qui coupent l’être de sa totalité.
Faisons une expérience de pensée. Supposons un être qui se soit suffisamment émancipé de tous les stéréotypes, et aussi de toute approche réductionniste de ce qu’il est. Justement, qu’est-il ?
Or, « ce qu’il est » le rabat du côté de l’objet et de ses caractéristiques, qu’elles soient biologiques, affectives, sociales, etc.
Or nous ne sommes pas des objets, sauf à nous identifier à ce que fait de nous l’objectif de l’appareil photographique spectaculaire.
Nous sommes des sujets donc. La juste formulation n’est donc pas « ce qu’il est », mais « qui il est ». C’est-à-dire qu’au-delà d’être « homme », « femme » selon les stéréotypes de la société ou selon sa biologie irréductible ou selon ses ressentis à ce propos, il est une subjectivité singulière, unique et totale. Cette subjectivité est à la pointe de toutes les dimensions desquelles elle émerge. Une subjectivité n’est ni une partie ni même l’ensemble de ses constituants, matériels, biologiques, spirituels, émotionnels, affectifs, etc. Elle est une émergence irréductible à ce qui la constitue. Elle est une île, un sommet.
Au-delà d’être mâles et femelles, hommes ou femmes ou enfants, et tout le reste, nous sommes humains : la rencontre de deux êtres qui se rencontrent en tant qu’êtres humains est déjà qualitativement tout autre que celle du mâle rencontrant une femelle, ou d’un homme rencontrant une femme. Dans cette rencontre humaine, c’est l’humain qui est rencontré, pas le sexe, pas le genre.
Mais lorsque la rencontre s’approfondit, l’humain même reste sur le rivage, seules les subjectivités prennent le large, dans leurs unicités et singularités qu’on pourrait dire miraculeuses, tant elles échappent à tout déterminisme, toute assignation, tout réductionnisme. Elles ne sont pourtant pas miraculeuses, mais juste des manifestations de notre merveilleuse faculté d’auto-détermination.
Que conclure de cette expérience de pensée, qui est peut-être pour quelques-uns(e)s une expérience de vie ? Que le développement des subjectivités est une traversée de toutes les identités : un extraordinaire processus transidentitaire émancipatoire.
Qu’au cours ou au terme de ce processus, certain(e)s se sentent – selon l’importance qu’a prise à leurs yeux telle ou telle dimension/composante de leur être -, davantage « hommes », davantage « femmes », davantage chat, plante, minéral, étoile ou ange, est finalement secondaire.
La seule identité qui vaille est celle qui dépasse.

The only true identity.
The debate on trans-identity is extraordinarily complex, not least because it is a very unusual phenomenon. It is also complex because it is singularly biased on all sides by one-sided positions. In fact, this is not a debate, but a merciless ideological war, without nuances either.
Two different things need to be considered: on the one hand, given the immersion of everyone in the matrix of the spectacle society, the influence of image and appearance on the construction of identity.
Afterwards, in order for a person’s authentic, unique and singular identity to emerge and develop, that person would already have to radically emancipate himself or herself from the roles that this society proposes/imposes/broadcasts/produces; in the spectacle, « citizen », « man », « woman » are not emancipated existential realities, but representations that are like so many imprisonments, artificializations; powerful vectors and carriers of distorted consciousness, distorted perceptions, distorted identities.
All this, leaving aside all the behavioural drifts that naturally follow from such off-the-ground constructions.
And just what is the ground? For some, it is the irreducible biological dimension, for others, the feeling. Pieces, separations, fragments that are made to shine, but which cut the being off from its totality.
Let’s do a thought experiment. Let us assume a being that has sufficiently emancipated itself from all stereotypes, and also from any reductionist approach to what it is. What is he?
Now, ‘what he is’ brings him down to the side of the object and its characteristics, be they biological, affective, social, etc.
But we are not objects, unless we identify ourselves with what the lens of the spectacular camera makes of us.
We are therefore subjects. The right formulation is therefore not « what he is », but « who he is ». That is to say, beyond being ‘man’ or ‘woman’ according to the stereotypes of society or according to his irreducible biology or according to his feelings about it, he is a singular, unique and total subjectivity. This subjectivity is at the forefront of all the dimensions from which it emerges. A subjectivity is neither a part nor even the whole of its constituents, material, biological, spiritual, emotional, affective, etc. It is an irreducible emergence of the whole. It is an emergence irreducible to what constitutes it. It is an island, a summit.
Beyond being male and female, men or women or children, and everything else, we are human: the encounter of two beings who meet as human beings is already qualitatively quite different from that of a male meeting a female, or a man meeting a woman. In this human encounter, it is the human that is encountered, not the sex, not the gender.
But when the encounter deepens, the human itself remains on the shore, only the subjectivities take to the sea, in their uniqueness and singularity that could be said to be miraculous, so much so that they escape all determinism, all assignment, all reductionism. They are not, however, miraculous, but merely manifestations of our marvellous faculty of self-determination.
What can we conclude from this thought experiment, which for some is perhaps a life experience? That the development of subjectivities is a crossing of all identities: an extraordinary emancipatory trans-identitarian process.
That during or at the end of this process, some people feel – according to the importance that this or that dimension/component of their being has taken on in their eyes – more « male », more « female », more cat, plant, mineral, star or angel, is ultimately secondary.
The only true identity is the one that transcends.