Chapitre 1 La question centrale. Où l’on démontre que : • Marx a nettement sous-estimé la destructivité du capitalisme. • Marx a néanmoins correctement estimé l’aliénation. • À la suite de Marx, les situationnistes ont correctement posé la question centrale. • La question centrale n’est pas secondaire, quand bien même les questions secondaires sont devenues centrales.
Chapitre 2 La société du spectacle et ses ennemis. Où l’on démontre que : • Les situationnistes étaient modérément technophiles. • La société est avant tout et en dernière instance spectaculaire, et seulement conséquemment techniciste et industrielle. • Le « coup du monde » n’est rien de technique. • Ellul aurait mieux fait de devenir situationniste (et ce n’est pas un détail).
Chapitre 3 L’économie n’existe pas. Où l’on démontre que : • La valeur, qu’elle soit d’usage, d’échange ou d’autre chose, est le monde moins le monde. • L’économie est la diversion suprême. • Lorsque le savoir séparé a tout séparé, l’or s’est couché sur le monde. • Le travail, c’est capital (et ce n’est pas de la novlangue).
Chapitre 4 L’humanité n’existe toujours pas. Où l’on démontre que : • Chacun est tissé de tous les autres sous un motif jamais le même. • Le temps est une invention des hommes incapables d’aimer. • Au commencement est l’anarchie. • La vie doit tout remplacer.
C’est blanc, avec de la poussière, peut-être une scène de manif, les gens crient, c’est encore une scène très violente, le bas de gamme quoi.
Depuis le temps que je traîne là-dedans, je tourne à l’angle d’une rue, ça devient rose, puis violet, un type s’approche de moi, je le connais mais je ne sais plus dans quelle strate de ma conscience il se trouve.
Le type me parle mais je n’entends rien, le son est coupé, ce n’est pas un amant, pas un proche, sinon je pourrais peut-être accéder au son sans payer.
Mais là, non, je n’ai pas payer ma facture, donc que dalle, j’entends rien.
Je souris bêtement, ça le navre on dirait, j’entends rien mais je devine, il prêche la bonne parole, quelque chose du style, l’humanité est en danger, il faut fuir, c’est catastrophique, il s’énerve tout seul.
Je crois qu’il représente un parti politique ou un truc du style. Il déballe des tracts, les colle sur les murs.
Et puis il se fatigue de parler comme ça à une sourde, il se casse, je suis toujours au milieu de rien, beaucoup de fumée, des trottoirs, du bitume, je marche sans penser, il n’y a pas beaucoup de choix dans mon programme mais quand même, j’ai gardé une puce avec des options.
Je la sors, c’est l’image de l’image, ce que tu aimes de toi, ce qui te rassure, je me dis, « ça va me faire passer un p’tit moment », j’ouvre le programme.
Je vois l’image, c’est moi, on en est tous réduit à ça, à consommer notre propre image, et encore ça te pompe plein d’énergie d’un coup, c’est tout un récapitulatif de ta vie, une sorte de petit film perso, avec des gros plans, des moyens plans, des scènes d’amour réelles ou rêvées, ils mettent un peu des deux, pour faire plus exaltant….
Ce monde si étrange l’est à la mesure de notre étrangeté à nous-mêmes.
Parmi tant de nuisances – dont aucune encyclopédie ne saurait faire le tour -, la nuisance essentielle est bien cette aliénation, d’autant plus efficace qu’elle est devenue une sorte de seconde nature, et même envisage très sérieusement de remplacer la première.
« Remède à tout » restitue précisément le contenu, l’étendue et les caractéristiques de ce mal universel, en réactualisant et en prolongeant la théorie critique du spectacle, dans sa centralité subversive.
C’est un coup auquel ne s’attendaient pas ceux qui en avaient fait un accessoire de décor ou un vague bon mot sans conséquence.
Debord l’avait déjà noté (pour en faire l’usage que l’on sait), en certains temps troublés (et c’est peu de dire que les nôtres le sont), il n’est pas hasardeux de penser que la vague connaissance de l’existence d’une condamnation centrale de l’ordre existant peut parfois suffire, si jamais elle se répand, à rouvrir l’horizon émancipateur, en créant de nouvelles aspirations, lorsque le remède est connu. C’est un pari qui, pour incertain qu’il soit, méritait d’être pris.
Le totalitarisme, c’est l’interdiction de l’intimité et de l’intériorité au nom de l’intérêt supérieur de l’état. L’homme comme pure extériorité.
Son corps, ses pensées, ses désirs, ses décisions, ses gestes, ses paroles, ses rêves et même ses cauchemars appartiennent dès lors au domaine public, dans une surexposition et une transparence totale, faisant de chaque individu, le suspect potentiel d’un crime possible et donc de chacun, littéralement, un monstre – c’est-à-dire celui qu’on peut montrer du doigt et désigner à la vindicte populaire ou à l’opprobre.
Dans une telle société, où la présomption de culpabilité remplace la présomption d’innocence, le contrôle par la terreur est total.
Là où la peur se focalise sur un objet particulier, telle ou telle phobie précise, la terreur, elle, étend ses tentacules à tous les aspects de la vie.
La terreur est la peur irrationnelle due à un danger inconnu perçu comme omniprésent, omnipotent et imprévisible.
Le drone, tout comme les logiciels de reconnaissance faciale embarqués, est le symbole même de la société totalitaire. Le maillage extérieur opéré par les drônes de surveillance et d’attaque se double d’un maillage intérieur où chacun, mis littéralement sous écoute, devient tour à tour son propre drône, le garde-chiourme, l’indicateur de police, l’accusateur et le censeur d’autrui, y compris de soi même, puisque désormais aliéné, c’est à dire dépossédé de son être intime : chacun est devenu l’ombre algorithmique et prévisible de lui même.
Au cœur de la guerre du Proche Orient, de l’Ukraine ou de « celle » (dixit Macron) contre la pandémie de covid se joue le contrôle absolu des consciences pour rendre évident ou acceptable l’inacceptable, la vision étatique, d’un homme dépouillé de son humanité, c’est à dire de son âme, ravalé au rang de simple acteur social ou de variable d’ajustement.
L’ingénierie sociale est le moyen consistant d’abord à atomiser les esprits, c’est à dire à les couper de tout lien social et affectif par la jouissance consumériste, les additions diverses et la peur (la crainte du sevrage de la jouissance consumériste étant aussi une forme de peur) pour, dans un deuxième temps, contrôler le discours sur le réel afin de mettre en œuvre une guerre des consciences entre elles, voire même, d’importer la guerre au plus profond de chaque individu, afin de conformer le réel au discours.
Qui contrôle le discours, contrôle le réel.
Diviser l’individu pour le soumettre au discours et à la vision du monde dominants, tel est le but de l’ingénierie sociale et la marque même de l’idéologie.
Le drône est le garde-chiourme d’un monde devenu carcéral où l’être concret et intime de l’homme est soumis à l’idéal abstrait de l’homme tel qu’il est pensé par l’État totalitaire et dont le contrôle absolu sur les esprits et les corps est le moyen.
L’idéologie totalitaire est à l’image du lit de Procuste. Elle consiste à raboter l’homme concret pour le conformer à la définition de l’État. L’enjeu de ce siècle, de ses conflits et tragédies est devenu celui de la résistance spirituelle à ce nouvel avatar totalitaire.
Le « coup du monde »* ce n’est ni le vote ni le coup d’État permanent !
« En postulant ce geste contagieux où les humains lâcheront pour de bon le système qui les aliène, un tel geste n’aurait plus rien d’une posture, et tout d’un humble apprentissage. Pour le dire autrement, la radicalité de la révolution nécessaire ne pourra avoir d’égale que la prudence (sagesse pratique collective artisanale) à mettre en œuvre la sortie de ce monde, qui ne va pas disparaître par magie, ou par incantations. »
Remède à tout, 150 pages, à paraître en novembre aux éditions Quiero/Marginales.
* Alexander Trocchi, Technique du coup du monde, I.S., n° 8
Le livre est déjà en place dans quelques librairies mais on peut le commander dans toutes.
On publie ce court texte reçu. De notre côté, on se dit que toute ces opérations (au sens chirurgical amputatoire), servent aussi de laboratoire à spectacle ouvert pour définir le sort futur des masses en période d’effondrement généralisé.
« Un fait marquant et inédit de la catastrophe vécue par la population libanaise est l’omniprésence des drones, dont l’utilisation est devenue systématique et constante depuis le début du conflit entre Israël, le Hamas et le Hezbollah.
Pour en mesurer l’impact total, il faut essayer de s’imaginer un quotidien sans cesse parasité, de jour comme de nuit, par le bourdonnement métallique de ces engins de surveillance.
Un parasitage sonore mais aussi et surtout psychologique, car le choix d’utiliser des appareils bruyants a pour conséquence de placer les gens dans un sentiment permanent de vulnérabilité et de non intimité, sachant que ces appareils sont en mesure de traquer les moindres faits et gestes de n’importe qui.
Dans ce scénario à la Orwell mais qui n’a malheureusement rien de fictionnel, on découvre – se préfigure ? -une humanité littéralement engluée dans les mailles implacables et froides d’une nuée d’araignées artificielles, à l’extérieur comme à l’intérieur des têtes et des habitations.
Dans ce ciel machinique déserté par les oiseaux, les libanais cherchent désespérément l’improbable horizon. »